Folio

AYME Marcel – Le chemin des écoliers

Réf: rf-f143
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Description

Extrait 1

   Le professeur d’histoire parlait des Girondins avec une sympathie qui ne s’avoue plus guère depuis vingt ans. Dans la deuxième demi-heure de son cours, il n’en était plus à formuler un jugement ou une critique et laissait aller son cœur meurtri par la défaite, l’occupation et l’impuissance des hommes sensibles. Il s’échappait librement vers la romanesque aventure de cette belle jeunesse bourgeoise grouillante et verbifiante comme un tas de carabins. Dans ce temps-là, il n’y avait pas besoin de vaincre pour fleurir dans la mort comme dans la vie. Quoique attentif, l’auditoire ne communiait pas. Les élèves suivaient avec intérêt, mais l’air froid, et un peu comme on écoute une histoire de cocu.

   Antoine, fidèle à une habitude déjà ancienne, n’écoutait pas la leçon d’histoire et lisait Tartufe. Malgré lui, la prose du professeur se mêlait aux vers de Molière et, parfois, une cafarderie de Tartufe semblait répondre à l’éloquence sublime d’un Vergniaud ou d’un Barbaroux. L’élève Michaud Antoine n’avait pas d’antipathie pour les Girondins, mais pensait que la science historique est une écœurante absurdité qui gâte le plaisir de vivre la vie dans leurs propres élans ; que c’était comme si on préparait les hommes aux joies de l’amour en leur apprenant dès l’école maternelle le mécanisme du coït dans un abécédaire illustré de vagins, de prostates et autres saletés. Il n’aurait pas osé le dire à son père qui était naturellement très friand d’histoire (les vieux s’embêtent dans la vie), mais la seule histoire qui, à la rigueur, lui parût valable était celle qu’on enseigne dans certains pensionnats de jeunes filles, une histoire peuplée de saints Louis, de Bayards et de sergents Bobillot, à part quoi, tout le reste était à ses yeux excrément cafardeux, bavure du passé sur le présent. Il aurait pu d’ailleurs faire les mêmes observations sur Tartufe. Pourquoi nous flanquer cette charogne sous le nez quand la vie est si belle et si doux l’amour ? Et plus généralement, pourquoi faut-il que nos existences, au lieu de s’élancer de leurs propres matins, se règle sur les cogitations de vieilles gens décorés ? L’élève Michaud Antoine se demandait ce qu’il fichait au lycée.

 

Extrait 2  

   Antoine feignait l’affairement pour éviter de se trouver disponible sous le regard de ses parents. Il avait le sentiment de commettre une mauvaise action et n’était pas sûr de sa joie. Au moment de partir, l’idée de passer dix jours chez Yvette lui paraissait un peu absurde. Sans aller jusqu’à souhaiter un empêchement de la dernière heure, il aurait été soulagé de devoir renoncer à son projet. Parfois aussi, en songeant à cette intimité de chaque instant qu’il allait partager avec une femme, un élan de tendresse lui faisait oublier son malaise. Sa jeune sœur Pierrette s’ingéniait à lui être utile et y réussissait trop bien. A peine se mettait-il à la recherche d’un livre ou d’une épingle de sûreté, qu’elle les lui apportait, si bien qu’il se trouva prêt plus d’une demi-heure avant le départ et, n’ayant plus le moindre prétexte à courir d’une pièce à l’autre, dut s’asseoir dans la chambre de ses parents.

   Michaud était installé dans un fauteuil au chevet de sa femme, rentrée le matin de la clinique. L’opération avait réussi, mais il lui fallait garder le lit encore une semaine. Antoine se reprochait d’ailleurs vivement d’abandonner sa mère au moment où elle pouvait avoir besoin de sa présence qui, même en temps normal, lui était toujours une aide et un plaisir. Sous les regards de la famille réunie, il s’efforçait de paraître calme, mais ses gestes étaient fébriles, ses paroles sonnaient un peu faux et ses yeux brillaient d’un éclat inhabituel. Hélène n’était pas sans remarquer la nervosité de son fils, qu’elle rapportait à l’excitation du départ. Pourtant, elle percevait dans ses attitudes un embarras que l’impatience ou l’émotion ne suffisaient pas à expliquer. L’idée lui vint que quelque cousine de Tiercelin pouvait bien être du voyage en Bourgogne, ce qui ne l’alarma du reste pas autrement.

   - Tu aurais dû faire une visite au père de Tiercelin, dit-elle à Michaud. C’était la moindre des choses.

   - J’y passerai un soir de cette semaine. J’ai même pensé que nous pourrions l’inviter un jour à dîner.

   - Je crois qu’il ne sort pas beaucoup, dit Antoine. Il lui est difficile d’abandonner son restaurant.

   Etant donné le personnage, l’idée que M. Tiercelin pourrait dîner avec ses parents l’inquiétait sérieusement et lui paraissait choquante.

   - Il suffirait peut-être d’inviter Paul après les vacances, émit Pierrette qui sentait la gêne de son frère.

 

 

Descriptif

Editions Folio 143 année 1993 ISBN 2070361438, état général moyen, couverture souple, tranche et dos un peu marqués et moyennement passés, pages jaunies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 258 pages   

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