Actes Sud

BANKS Russel – American Darling

Réf: re-asrbad
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Description

Titre original « The Darling » Russel Banks, 2004

Traduit de l’américain par Pierre FURLAN

Extrait 1

   Il y a beaucoup de choses, dans cette période, que vous n’avez pas besoin de savoir ou dont je n’ai pas envie de me souvenir pour l’instant. Ou même dont je suis incapable de me souvenir. J’étais quelqu’un d’autre, à cette époque. Après les journées de rage de Chicago en 1969 et mon inculpation par la justice fédérale en 1970, je suis retournée en Nouvelle-Angleterre où je suis passée dans la clandestinité. J’avais pris le nom de Dawn Carrington, Carol, qui était à la fois mon amante et ma colocataire, ne me considérait pas comme une marxiste et encore moins comme une terroriste, mais juste comme une intellectuelle, une sorte de démocrate très progressiste qui était passée par l’université et nourrissait de grandes pensées.

   Confiante et profondément honnête, Carol était une petite jeune femme, presque aussi menue qu’un enfant, avec de grands yeux ronds et sombres de gosse des rues. Dotée d’une obstination enfantine, elle était toujours exactement ce qu’elle paraissait et prétendait être ; en un sens, elle était presque mon exact contraire. Pour elle, j’étais une femme distante, bourrue, sceptique, plus âgée qu’elle de quelques années, une femme qui, par sa présence dans sa vie, l’empêchait de retomber amoureuse du genre d’homme qui alalit la battre et la tromper, c’est-à-dire un homme comme le père de Bettina, sa fille. Même si elle connaissait la rue depuis des années, j’étais plus au fait du monde qu’elle, plus sceptique, plus tranchante. Elle avait l’habitude de me chuchoter : « Tu me rends plus forte », et je lui répondais : « Arrête tes conneries, Carol, tu es aussi forte que tu veux bien l’être ». Ce n’était d’ailleurs pas « Dawn » qu’elle m’appelait, mais « Don ». Parfois elle l’écrivait sur de petits mots qu’elle me laissait sur la table de la cuisine pour que je les trouve au moment où je quitterais la maison. J’allais en effet au travail de bonne heure, tandis qu’elle continuait à dormir jusqu’à ce que Bettina la tire de son sommeil pour avoir son petit-déjeuner. Bonjour, Don. J’avais envie de te réveiller quand je suis rentrée, mais il était trop tard et tu avais l’air de dormir paisiblement. Ce soir je travaille pas, alors on pourrait aller se faire un barbecue sur la plage quand tu rentreras. XXX.

   

Extrait 2

   Pour Woodrow, c’était pareil, j’en suis sûre. Il était bien celui qu’il décrivait – du moins je le croyais, même s’il avait dû, lui aussi, apporter des centaines de grandes et petites rectifications à son récit pour me protéger de mon ignorance crasse vis-à-vis d’existences telles que la sienne et pour que j’aie moins peur es différences énormes qui nous séparaient. Il faisait pour moi ce que je faisais alors pour lui et à présent pour vous. C’était certainement ainsi que mon père et ma mère avaient jais procédés l’un envers l’autre, lors de ces mois où ils se sont courtisés avant leur mariage, de sorte que lorsqu’ils ont fini par se mettre d’accord pour s’épouser et qu’ils ont commencé à baiser chacun des deux savaient qui il ou elle baisait, et chacun avait l’assurance que l’autre le savait aussi.

   Et c’est à peu près ce qui s’est passé pour Woodrow et moi. Je me souviens d’un soir de mai, où nous rentrions d’un bal de la police qui avait eu lieu dans l’immense temple maçonnique en briques jaunes du centre-ville. Nous avions beaucoup bu, il y avait eu pas mal de gros rires masculins à notre table. Ce n’était évidemment pas la table principale, celle où avait pris place le président Tolbert et une demi-douzaine de ses ministres les plus influents avec leurs volumineuses épouses qui ressemblaient à des tulipes, mais nous en étions si proches que j’avais attiré de nombreuses marques d’intérêt de la part de ces messieurs haut placés. Ce soir-là, Woodrow m’a demandée en mariage.

   Il n’a pas formulé sa demande en terme explicites, mais je savais que c’était ce qu’il voulait, et je n’ai pas accepté en termes explicites, mais il savait lui aussi, ce que je voulais dire. Nous étions assis sur la banquette arrière de la Mercedes conduite, comme d’habitude, par Satterthwaite. Et, comme d’habitude, Satterthwaite nous observait dans le rétroviseur. Woodrow était étonnamment volubile. Il était content, un peu éméché. Toute la soirée, si l’on en jugeait par le ton et la teneur des salutations qu’il avait échangées avec les hommes les plus haut placés – depuis le président Tolbert en personne jusqu’au chef de la police en passant par l’ambassadeur américain -, et par la manière dont ces personnages importants avaient poliment flirté avec moi, il semblait clair que Woodrow allait accéder à un cercle de pouvoir plus restreint au centre duquel se tenait le président en personne. Loin de freiner son avancement vers le centre, la jeune Américaine blanche que j’étais – cette femme qui, dans la communauté américano-libérienne, passait pour avoir eu une vie aventureuse, voire assez dangereuse politiquement, surtout pour une femme, et qui en plus, s’appelait Hannah Musgrave alors que son passeport portait encore le nom de Dawn Carrington – lui apportait en fait une aide évidente. 

 

Descriptif

Editions Actes Sud Lettres Anglo-Américaines année 2005 ISBN 2742756906, Assez bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu marqués et passés, pages moyennement jaunies, livre d’occasion broché grand format de 14,7x24,2 cm, 400 pages   

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