Le livre de poche

BIZOT Véronique – Les sangliers

Réf: re-ldp30726
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Description

Extrait 1 de « Walser »

   De Paul Walser, commençons par lui, on dit qu’il a une maladie, sang, os, peau, peut-être mentale, dont même les ombles chevaliers du lac auraient vent qui se tiennent, assurent les pêcheurs, à distance de son ponton. On dit également qu’il ne sait compter qu’en millions, que toute transaction en deçà du million le plongerait dans la perplexité. De cette maladie et de la fortune de Paul Walser, on ignore la nature et le montant exacts. La rumeur repose respectivement sur sa longue silhouette flottante qui parfois se montre en ville et sur ce que l’on peut distinguer de sa propriété lorsque l’on passe devant en bateau. A l’évidence une pelouse comme celle de Paul Walser doit chiffrer, que dire de ces arbres au feuillage étoilé qu’il aurait fait venir du Japon et dont les troncs filiformes s’inclinent sur les eaux du lac. Personne n’est capable de lui donner un âge, ni de s’accorder sur le timbre de sa voix. Certains prétendent qu’il s’exprime en chuchotant, ce que d’autres contredisent immédiatement, en vérité nul ne l’a approché d’assez près pour obtenir plus qu’un neurasthénique sourire. Aux lunettes dont l’épaisse monture d’écaille noire accentue la pâleur de sa peau, on le suppose myope. On sait avec certitude qu’il vit seul. Un certain Rochelle, à la carrure inquiétante, entretient son chalet, que l’on peut voir réceptionner chaque matin les livraisons de nourriture à l’extrémité du ponton. Jamais d’invités. Paul Walser a pour voisins de gauche un prothésiste dentaire et sa femme – une brune au bronzage voyant, montée été comme hiver sur des chaussures à semelles compensées et qui souffrirait d’une forme assez rare de dépression. A sa droite, l’hôtel du Plongeon, médiocre établissement situé à l’aplomb de l’eau, dont je suis depuis maintenant une semaine l’unique et incrédule client. Chaque jour qui passe sur ces rives lénifiantes ne fait que me confirmer ma détestation des lacs et des paysages lacustres. De ce climat aux prétendues vertus anesthésiantes où je suis supposé patienter le temps que mes nerfs atteignent un stade de relâchement acceptable. Mary a tout à coup déclaré qu’elle ne me supporterait pas plus longtemps dans cet état de nerfs, que mes nerfs, en l’état où ils étaient, détraquaient son propre système nerveux, nuit et jour, à ce stade de contracture nerveuse c’était la clinique ou la ville d’eau, je te laisse choisir, a-t-elle dit, comme si la différence était patente.

 

Extrait 2 de « Pauline au téléphone »

   Quatre mois après qu’elle m’a eu raccroché au nez, j’ai rappelé Pauline, ma catégorique, mon inflexible Pauline dont c’est aujourd’hui le soixantième anniversaire, en perspective de quoi elle est je présume occupée à farcir aubergines, dépecer poivrons et confectionner tapenades, chez qui le téléphone ne cesse probablement de sonner, les fleurs d’être livrées, flanquées dans des vases qu’elle videra le dernier invité parti. L’une des particularités de ma sœur Pauline est de ne tolérer ni couleur ni végétal dans son appartement intégralement constitué de béton et de métal, j’entends toutes sortes de commentaires au sujet de ce bloc de béton et de métal unanimement qualifié de performance architecturale, partout cité en exemple, où ne figure pas un centimètre carré de textile, pas un coussin, pas une ligne courbe, où l’on est prié de s’asseoir sur de coriaces galettes répandues le long de banquettes cimentées, où tirer les rideaux consiste à appuyer sur un bouton pour voir dégringoler un morceau de tôle du plafond, et cependant jamais rien n’est dit de son inconfort, or c’est indiscutablement l’appartement le plus inconfortable qui soit, béton et ferraille partout, le plus brutal à l’œil et au corps, et pour moi chaque fois une épreuve d’y mettre les pieds. Malgré la perspective certes improbable de m’y trouver convié le soir même pour sa fête d’anniversaire – chaque année le même branle-bas, la même bousculade -, j’ai pris cette courageuse décision d’appeler Pauline, et du même coup le risque de la déranger dans ses marinades, quatre mois très exactement après qu’elle m’a téléphoniquement signifié notre rupture, elle depuis les hauteurs de son appartement stalinien, moi dans cette cabine d’un sous-sol de café où, quand elle a eu raccroché, j’ai échoué dans les toilettes et me suis perdu dans la contemplation des graffitis.

   Pauline a dit allô et j’ai marqué un temps d’arrêt, réalisant que cet allô, lent, circonspect, presque atone, ne contenait rien de ce à quoi je m’étais attendu, impatience, effervescence, contrariété. Ce n’était pas son rêche allô habituel, ce n’était pas non plus un allô suggérant qu’elle avait décroché avec de la farine jusqu’aux coudes, ni, d’aucune façon, un allô imprégné de l’espoir que je pourrais me trouver au bout du fil, la délivrant enfin de quatre mois de remords et de nuits blanches.

 

Descriptif

Editions Le Livre de Poche 30726 année 2007 ISBN 9782253115731, bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu passés et marqués, intérieur assez frais, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 128 pages   

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