Le livre de poche

CALVINO Italo – Le Vicomte pourfendu

Réf: re-ldpb3004
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Description

Titre original « Il visconte dimezzato «

Traduit de l’italien par Juliette Bertrand

Extrait 1

   La bataille commença ponctuellement à dix heures du matin. Du haut de sa selle, le lieutenant Médard contemplait le vaste déploiement de l’armée chrétienne prête à attaquer, et tendait le visage à ce vent de Bohême qui soulevait une odeur de balle de blé comme s’il passait sur une aire poussiéreuse.

   « Non, ne vous retournez pas, seigneur ! » s’écria Kurt, qui se tenait à son côté, avec le grade de sergent.

   Et pour justifier cette phrase péremptoire, il ajouta à voix basse :

   « On dit qu’avant le combat, ça porte malheur. »

   En réalité, il avait peur que le vicomte ne se décourageât s’il apercevait que l’armée chrétienne ne consistait qu’en cette première rangée déployée et que les forces auxiliaires se composées de quelques rares escouades de fantassins en piteux état.

   Mais mon oncle regardait, dans le lointain, le nuage qui s’approchait à l’horizon et il pensait : « Ce nuage, ce sont les Turcs, de vrais Turcs, et ceux qui sont à mes côtés en train de chiquer du tabac, ce sont les vétérans de la chrétienté, et cette trompette qui sonne en ce moment c’est l’attaque, la première attaque de ma vie, et ce grondement et cette secousse et ce bolide qui s’enfonce en terre et que les vétérans et les chevaux regardent avec un air blasé, c’est un boulet de canon, le premier boulet de canon ennemi que je rencontre. Plaise au ciel que ne vienne jamais le jour où il me faudra dire : c’est le dernier. »

   Sabre au clair, il se sentit galoper dans la plaine, les yeux fixés sur l’étendard impériale qui se montrait et disparaissait dans la fumée, tandis que les canonnades amies tournoyaient dans le ciel au-dessus de sa tête, que les ennemis ouvraient déjà une brèche dans le front des chrétiens – et aussi de brusques ombrelles de terre. Il pensait : » Je vais voir les Turcs ! Je vais voir les Turcs ! » Il n’y a rien qui fasse autant plaisir que d’avoir des ennemis d’abord, puis de voir s’ils sont réellement tels qu’on les imaginait.

 

Extrait 2  

   C’étaient là pour moi des temps heureux ; j’étais toujours avec le docteur Trelawney en train de chercher des coquilles d’animaux marins transformés en pierres. Le docteur Trelawney était anglais ; il était arrivé sur nos côtes, après un naufrage, à califourchon sur un tonneau de Bordeaux. Il avait été toute sa vie médecin de la marine et avait pris part à de longs voyages dangereux parmi lesquels les explorations du fameux capitaine Cook. Mais il n’avait jamais rien vu du monde parce qu’il était toujours resté dans l’entrepont à jouer à trésette. Dans notre pays, il avait pris goût au vin nommé « cancaroun », le plus rêche et le plus épais de chez nous, et ne pouvait plus s’en passer. A tel point qu’il en portait toujours un plein bidon en bandoulière. Il était resté à Terralba et était devenu notre médecin ; mais il ne s’intéressait pas aux malades, uniquement préoccupé de ses découvertes scientifiques qui lui faisaient arpenter toute la journée – en ma compagnie – les champs et les bois. Ç’avait d’abord été une maladie des grillons, maladie imperceptible dont ne souffrait qu’un grillon sur mille : encore n’en ressentait-il aucun préjudice. Le docteur Trelawney voulait chercher tous les grillons atteints et trouver la cure adéquate. Puis les traces du temps où la mer recouvrait nos terres. Alors nous nous chargions de galets et de pierres à fusil que le docteur disait avoir été, en leur temps, des poissons. Enfin, sa dernière grande passion, ç’avaient été les feux follets. Il voulait trouver la manière de les prendre et de les conserver ; c’est pourquoi nous passions les nuits en incursions dans notre cimetière dans l’attente qu’entre les tombes de terre et d’herbe s’allumât une de ces clartés errantes. Alors nous nous efforcions de l’attirer à nous, e la faire courir derrière nous et de la capturer sans l’éteindre dans des récipients dont nous faisions l’essai l’un après l’autre : sacs, fiasques, dames jeannes dépaillées, chaufferettes, passoires à bouillon. Le docteur Trelawney avait fait sa demeure d’une bicoque, proche du cimetière, qui avait été la maison du fossoyeur à cette époque faste, de guerre et d’épidémies où il fallait entretenir un homme ne faisant autre chose que ce métier. C’est là que le docteur avait installé son laboratoire, avec des burettes de toute forme pour embouteiller les feux, des filets comme ceux qu’on emploie à la pêche pour les attraper, des alambics et des creusets avec lesquels il analysait la façon dont ces pâles flammèches naissent de la terre des cimetières et les miasmes que donnent les cadavres.

 

Descriptif

Editions Le Livre de poche Biblio roman 3004 de2009 ISBN 9782253029854, Bon état général, couverture souple, tranche et dos légèrement marqués et passés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 128 pages   

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