KOSTER Serge – Trou de mémoire

Réf: rf-csktm
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Description

Extrait 1

   Catholique ? J’avais sept ans, Dieu me pardonne – mais quel Dieu ? La concurrence était très pauvreté de mon vocabulaire et la pénurie de mes observations. J’étais nu dans la salle des douches que j’étais la honte même. Mon dos heurta la paroi gluante. J’avançai d’un pas. Le jet d’eau ruisselait le long de mon échine. J’avançai encore, afin de rendre visible à tous l’objet du délit. Dans sa sphère propre, qui était celle des sensations, mon sexe, hormis le soulagement des besoins urinaires, n’avait pas, jusqu’à cette minute attiré mon anxiété. Je tentai de le voir avec des yeux de fillettes devenues silencieuses.

   Comme j’ai l’esprit de l’escalier, il me fallut un délai de réflexion avant de chercher l’équivalence et la comparaison là où elles se présentaient. Je m’avisais enfin que les autres garçons étaient nus, et pourvus d’un organe analogue au mien, dont l’unique dissonance terminale signalait ma laideur. Elle faisait de moi un paria en face de l’unanimité morphologique de mes camarades. Même Michel R. qui avait eu la primeur de mes larmes en train de nuit et qui souvent se singularisait par la faiblesse de ses sphincters, se retrouvait dans le bon camp, celui des déprépucés, ainsi que je découvrirai plus tard, ayant rejoint leur bord, que Voltaire les nomme, les distingue, sur le mode de l’obsession. Mais en ce moment où le catholicisme est sorti tout bardé de son hermétisme, des charmantes gorges de mes petites compagnes, je suis seul au monde, je n’ai plus personne, même mon frère, aussi coupable que moi pourtant, a disparu de mon champ de vision, que brouille et brûle la première humiliation de ma vie.

   Catholique ? Prépuce ? Syllabes opaques, morceau de chair insignifiant. Aujourd’hui, pour me défendre d’un outrage ou d’une étrangeté, je consulte un dictionnaire, j’engrange les définitions et les étymologies, la langue française tout entière convoquée dans un volume constitue mon asile, mon trésor, ma patrie, mon salut. Mais en en ce temps archaïque dont je parle, rien de tel : la diplomatie et les négociations avec l’univers n’étaient pas encore dans mes moyens. Les regards et les mots d’autrui opéraient en toute quiétude le dépeçage de ma petite âme immortelle.

 

Extrait 2

   Simultanément, j’eus deux amis auxquels, une fois faites nos prises mutuelles, je m’accrochai avec l’ardeur farouche de celui qui se noie. Ils n’étaient ni juifs ni pauvres ni rien des attributs par lesquels je me concevais un zéro mondain. Je voulais me déclasser vers le haut. Ou plutôt, n’étant de nulle part, me classer en visant des cibles qui m’apparaissaient dans les hauteurs du monde. Tout cela est un peu faux, sinon après coup : sur le coup ma spontanéité fut totale. Je manquais de sang-froid pour calculer, comme Rastignac, et aucun Vautrin à ma rescousse. Plein de désespoir et de convoitise, je me jetai à cœur perdu dans l’amitié de ceux qui, originaires d’autres cercles, me sauveraient des miens dans la cour. Quels furent mes atouts en face du Séducteur (intrépide) et du Scénariste (infatigable) ? Comment savoir : la sincérité, la vulnérabilité, l’originalité ? L’écorchement vif, le brio scolaire, la fougue du tout ou rien ? Je fus ami d’eux, qui ne le furent pas ensemble.

   De quinze à presque vingt ans, durant ce pilotage à vue d’une adolescence sans gouvernail hormis le faisceau des fièvres du désir, ces deux-là furent les phares qui brillèrent sur mon immaturité affective et ma maladresse sociale ; à leur insu, ils empêchèrent la dislocation d’un esprit, le délabrement d’une destinée ; je leur suis reconnaissant de m’avoir permis de dépenser, bander et jouir par procuration ; ce fanal de l’amitié, le temps n’en a pas éteint le halo à travers la distance.

   Ce qui me plaisait chez le Scénariste :

   Sa généalogie cambodgienne, productrice de dépaysement divers, le rattachant à la fois aux mystères de la jungle imaginée par Malraux dans la Voie royale, au sourire indéchiffrable de quelque sculpture d’une ruine d’Angkor et à cette sphère diplomatique où se mouvait son père, ambassadeur du prince Norodom Sihanouk…

   Ses aspirations artistiques, son goût du théâtre, ses projets de cinéma : en classe terminale il monta, dans le cadre du lycée, la pièce de Sartre, Morts sans sépulture, où il me fit interpréter le rôle de François, ce jeune résistant que les siens étranglent avant qu’il ne parle sous la torture ; ma mère assistait à la représentation et, durant les minutes où ma tête reposait sur les de celle qui jouait la sœur de François, j’ai été les yeux clos, très heureux…

 

Descriptif

Editions Critérion année 1991 ISBN 2903702373, état général moyen, couverture souple, tranche et dos un peu marqués, salis et gondolés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 14,3x20,8 cm, 142 pages   

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