Calmann-Lévy

ISHIGURO Kazuo – Quand nous étions orphelins

Réf: re-clkiqneo
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Description

Titre original « When we were orphans » Kazuo Ishiguro, 2000.

Traduit de l’anglais par François Rosso

Extrait 1

   L’altercation qui suivit, bien qu’elle n’eût pas d’importance apparente, prit, je crois, une signification toute particulière pour ma mère, au point que dans son esprit elle représenta peut-être un moment clef de triomphe moral. J’ai souvenance que, à mesure que je grandissais, elle y revenait très régulièrement, comme s’il s’agissait d’un événement qu’elle voulait me voir garder au fond de mon cœur ; et je me rappelle aussi lui avoir souvent entendu raconter toute l’histoire à des visiteurs, concluant généralement par un petit rire et l’observation que cet inspecteur avait été muté de son poste très peu de temps après sa visite. Il s’ensuit que je ne puis aujourd’hui savoir avec certitude ce qui, dans ma mémoire, provient de la scène à laquelle j’assistai du palier et jusqu’à quel point celle-ci s’est mêlée avec le temps aux récits de ma mère. Quoi qu’il en soit, mon sentiment est qu’au moment où Akira et moi, cachés derrière le cabinet en chêne, commençâmes d’épier ce qui se passait, l’inspecteur disait à peu près ceci :

   « J’ai le plus grand respect pour vos sentiments madame. Toutefois, dans ce pays, on ne saurait être trop prudent. Et la compagnie Morganbrook & Byatt est responsable de la santé de tous ses employés, y compris les plus acclimatés à la Chine, comme M. Banks et vous-même.

   - Je regrette, monsieur Wright, répondit ma mère, mais vos objections me restent incompréhensibles. Les domestiques dont vous parlez me donnent entière satisfaction depuis des années, et peux vous garantir personnellement qu’ils sont irréprochables en matière d’hygiène. Du reste, vous avez reconnu vous-même qu’ils ne présentent aucun signe de maladie contagieuse.

   - Il n’empêche, madame, qu’ils sont originaires du Shandong. Et la compagnie se voit forcée de déconseiller formellement à ses employés d’engager toute personne native de cette province. Cette restriction, j’ose le dire, nous est dictée par plusieurs expériences pénibles.

   - Vous plaisantez ? Prétendez-vous vraiment me faire chasser de chez moi ces amis – oui, monsieur, il y a bien longtemps que nous les considérons comme des amis ! – pour la seule et unique raison qu’ils sont nés dans le Shandong ?

 

Extrait 2  

   Peut-être fut-ce parce que j’étais conscient du caractère intime de mes craintes – ou peut-être parce qu’un changement profond s’effectuait déjà à l’intérieur de moi -, mais pas une fois il ne me vint à l’esprit de demander le secours d’un des adultes que je croisais, ou de faire signe à un attelage ou à une auto. Je continuai ma course dans cette longue rue, et, malgré mes halètements pitoyables, malgré ma gêne de me savoir si piteuse allure pour les gens qui passaient, malgré la chaleur et l’épuisement qui me réduisaient à ne guère progresser plus vite que si je marchais au pas, je crois que pas une seule fois je ne m’arrêtai. Enfin, je dépassai la résidence du consul des Etats-Unis, puis la maison des Robertson. Je quittai Bubbling Well Road, m’engageai dans notre rue, et ce qui me restait de souffle me porta jusqu’à la grille.

   A l’instant même où je la franchis – et bien qu’aucun signe évident ne me révélât rien – je sus qu’il était trop tard, que tout était fini depuis longtemps. Je trouvai la porte d’entrée fermée à clef. Je courus jusqu’à la porte de derrière, qui s’ouvrit, me ruai de pièce en pièce, et – je ne sais pourquoi – appelai à grands cris non ma mère, mais Mei Li. Peut-être que, à ce moment encore je ne voulais pas voir en face ce que cela signifiait d’appeler ma mère.

   La maison semblait vide. Puis, alors que je restais debout au milieu du hall, complétement désorienté, j’entendis le bruit d’un petit rire aigu. Cela venait de la bibliothèque, et quand je m’en approchai, je vis par la porte à demi ouverte Mei Li assise à ma table de travail. Elle était assise très droite, et lorsque j’apparus sur le seuil elle poussa un autre petit rire, comme si elle s’amusait toute seule et se retenait de s’esclaffer de bon cœur. Je compris soudain qu’elle pleurait, et je sus, comme je l’avais su tout au long de cette course exténuante, que ma mère n’était plus là. Alors monta en moi une rage froide contre Mei Li – Mei Li dont, malgré toute la crainte et le respect qu’elle m’avait inspirés des années durant, je découvrais maintenant l’imposture ; Mei Li, totalement impuissante face à ce monde vertigineux qui se déployait autour de moi. Une petite femme pathétique qui s’était construit devant mes yeux une autorité faite de prétentions mensongères, qui comptait pour rien quand les vraies grandes forces se heurtaient et se livraient bataille. Je restai sur le seuil et la regardai avec le plus absolu mépris.

 

Descriptif

Editions Calmann-Lévy année 2001 ISBN 2702132162, bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu marqués et passés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 15,2x23,3 cm, 382 pages   

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