Extrait

   Sept août 1772… 20 heures… C’est en descendant ce matin dans la cour que j’ai rencontré Damien. C’est un ancien soldat, de quarante-cinq ans, qui annonce les changements de temps au rythme des nuages, des vents et aux douleurs de son ancienne blessure. Il vient quelquefois faire le jardin et c’est lui qui me conseille et vient m’aider pour l’ouverture du thou, quand il faut vider l’étang au mois de novembre. On le dit un peu sorcier, rebouteux de son état. Il sait un peu lire mais ne le montre pas. Je ne crois pas qu’il sache écrire. Il fut blessé, d’une arquebusade, dans les Flandres, en 1753, mais sa vilaine plaie à la cuisse a fini par guérir et il a même obtenu une petite pension du Gouverneur de la Dombes.

   Je lui parlai de Lucifer, de Colombine et de mes chiens avec leur curieuse danse au cours du sommeil.

   - Mais c’est qu’elles rêvent ces bêtes ! me répondit-il. Toutes les bêtes rêvent pendant leur sommeil.

   Il me conta l’histoire de ses chiens qui aboient au cours de leur sommeil en rentrant de la chasse :

   - Le plus forcés et crottés qu’ils soient, le plus longtemps que je les laisse courir les faisans ou les biches, le plus qu’ils bougent le soir au coin du feu, et les oreilles, et les pattes et la queue, et aussi des grognements, pas tout à fait comme les abois de la chasse. Ils bougent aussi leurs yeux et leurs babines…

   - Comment savez-vous qu’ils ne sont points réveillés ? lui demandai-je.

   - Pas éveillés, pour sûr… car quand je tape avec mon couteau sur l’assiette, ils ne viennent pas vers moi, ces affamés ! Même si je les appelle : Hé le Tord-cou ! Ohé la Carcasse ! Ils ne bougent pas. Mais, quand la danse des songes est terminée et que je les siffle, ils se mettent tout de suite debout et viennent vers moi en bougeant la queue.

   Nous nous assîmes sur le banc de pierre, à la porte du château, et je restai songeur : rêver ? Les animaux ! Comment n’y avais-je pas pensé, alors que je note mes rêves depuis sept ans ! J’étais à la fois humilié de ce que Damien m’ait donné une solution à mon mystère, et contrarié.

Descriptif

Editions Odile Jacob année 1992 ISBN 2738101534, bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu passés et marqués, intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 14,7x22,2 cm, 366 pages