Fayard

KLOPMANN André – Crève, l’écran

Réf: pt-fpqo2002
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Description

Extrait 1

   Tous les voyants passèrent au rouge. Solnia ressentit l’impératif besoin de replacer la discussion dans son contexte technique.

   - Et si on lui en avait injecté, de l’adrénaline ? Une dose de cheval ?

   - Notre client ne serait pas mort sur le coup. Il aurait réagi, protesté, je ne sais pas, moi ; il aurait fait quelque chose pour donner l’alarme. Figurez-vous que l’idée m’a traversée l’esprit aussi, mais je n’ai pas trouvé la moindre trace de piqûre. Je l’ai retourné et examiné sous toutes ses coutures – à propos, il a subi une ablation de l’appendicite. Mais on s’en fout, c’est sans importance.

   Vlad Solnia cala ses jambes sur la table et, découvrant un nouveau confort, s’étonna de ne pas l’avoir fait plus tôt. Perplexe, il dévia la conversation.

   - Ici, les gens bougent. Des cameramen, des journalistes. Ils vont partout. J’ai vu les images qu’ils s’envoient. Dès qu’il y a du sang, des larmes ou du Churchill, ils rappliquent au bout du monde. Ils pataugent dans la merde. Il y a des cinglés du plan morbide qui balancent n’importe quelle horreur des contrées les plus reculées. Ces types, enfin, certains d’entre eux, ils sont complètement déconnectés. Et vous savez quoi ? L’un ou l’autre aurait très bien pu ramener d’ailleurs un poison qu’on ne connaît pas, une dégueulasserie qui ne serait pas dans les manuels. Pourquoi ? Histoire de fric, de cul, je ne sais pas, moi. Quelque chose qui donnerait envie de tuer. Je me charge de ça, mais vous, toubib, faites-moi plaisir : renseignez-vous à fond sur les poisons rares, les produits mortels dont on ne connaît pas l’usage en Europe ; les légendes, même. Partez chez les pharaons ou chez les Incas, faites-vous faxer les protocoles du KGB, maintenant que la baraque est par terre ; plongez chez les Borgia et relisez vos classiques sur les Jivaros. Je vous offre un autre doctorat, sauf qu’il vous faudrait quatre ans pour le mettre au point, alors que moi, j’attends vos bases tout de suite.

   Une sourde excitation gagnait Solnia dont le flot expansif masquait l’intransigeance : méthode infaillible parce que charmeuse. Son fond slave, sans doute.

   - Je suis médecin, pas détective…

   - Vous aurez de l’aide, si vous voulez. Mes gars feront le lien. Mais je vous en prie, ne négligez pas cette piste. Nous n’en avons pas d’autre.

   - Je ne le vous fais pas dire.

   18h10. Et Visseur qui doit m’attendre, se dit Solnia.

   - Il faut que j’abrège. On a fait le tour ?

 

Extrait 2

   Au vu des circonstances, la direction de General TV décida de reporter la nomination du successeur de la Tronche. Marreux cependant prenait des grands airs ; depuis que Libé l’avait proclamé favori, publiant une photo flatteuse, il en faisait des tonnes sur le registre sympa-cool—bon pote-mais-professionnel-exigeant. Mais il rongeait son frein. Dans son dos, on murmurait. Son impatience sautait aux yeux. Il naviguait, dans les couloirs, un peu comme ces types qui se baladent avec du bois d’orignal sur la tête et sont seuls à ne pas s’en apercevoir.

   La relation d’amour-haine tissée entre la presse écrite et les chaînes de télé tenait d’une alchimie subtile. Les journalistes de télé enviaient souvent les belles plumes capables d’écrire comme eux-mêmes ne sauraient jamais le faire ; les scribes vouaient, de leur côté, une jalousie rentrée à l’endroit de ceux dont la notoriété explosait simplement parce qu’ils passaient leur tête dans la lucarne. Chacun veillait à soigner la notoriété de l’autre. Pour le bien mutuel. On appelait ça « l’interactivité de l’ascenseur ». Derrière chaque bureau de General TV se cachait, ainsi une taupe en puissance… Pour un peu, une fois les écrans éteints, on aurait entendu les opérations de fouissement. Et aussi le grignotage – littéralement : action de s’approprier progressivement quelque chose. Chacun grignotait. Un bout de pouvoir, une tranche d’antenne, un sujet créatif, un rien de reportage à l’étranger, il y avait toujours quelque chose à prendre.

   Installé dans un petit bureau que l’intendance avait mis à sa disposition, Vernes commençait d’interroger les cadres de la boîte. C’était une idée de Solnia : ne pas se rendre dans leurs bureaux mais contraindre les huiles à se déplacer. Plus humbles et un peu déstabilisées, elles seraient peut-être plus productives. La méthode présentait cet autre avantage qu’elle valorisait l’action de la police.

   Une note avait circulé pour menacer des pires catastrophes tout auteur de fuite sur l’existence même d’une enquête de police. Avec un peu de chance, on pouvait gagner deux jours avant les grands titres que la direction de General TV redoutait tant, genre « Série noire à General TV », « Morts suspectes à la télé », ou pire, « Le bunker tue, mais comment ? ». Subitement l’irruption de la police dans ce bassin grouillant gênait et en imposait tout à la fois ; même les requins semblaient se faire dociles.

 

Descriptif

Editions Fayard Prix du Quai des Orfèvre 2002 ISBN 2213609705, état général correct, couverture souple, tranche et dos marqués et passés, tranche oblique, intérieur assez frais, livre d’occasion broché format poche de 11,3x17,8 cm, 384 pages   

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