Gallimard

MARTINEZ Carole – Du domaine des murmures

Réf: rf-gcmdm
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Description

Extrait 1

   A toi qui écoutes, je veux raconter les événements comme je les ai vécus, sans juger la jeune fille que j’ai été.

   Je suis restée quatre jours dans le noir de ma tombe. Certaines de mes sœurs recluses demeuraient dans l’obscurité et le silence jusqu’à leur mort.

   Quatre jours sans nourriture, sans eau, sans compagnie, sans rien pour m’exciter les sens, quatre jours hors du temps, quatre jours à boire mes larmes, et mon petit esprit s’est déplié comme coquelicot. A force de foi, de méditation, de jeûne et de solitude, il m’a semblé qu’un certain chemin s’était ouvert dans l’obscurité, chemin qu’empruntait la cohorte des morts et, de leur suite, j’ai touché l’autre rive. J’y ai vu les âmes se débattre dans le feu de la purgation, j’ai partagé leur géhenne et me suis convaincue que ma prière les soulageait, qu’elle tenait les démons à distance, qu’elle les arrachait à leurs griffes ; puis j’ai été ravie à ce séjour odieux et élevée au-dessus des nuées. Christ m’a enlacée et m’a menée toute vive dans sa Lumière inouïe. Il m’a permis de goûter le chœur des anges, dont nos chants n’étaient que pâles échos. Mon âme a résonné au son des cymbales de la jubilation bien plus longtemps que ma chair n’avait vibré en entendant notre pauvre cloche de Sainte-Agnès. Ma foi m’a offert des visions d’une beauté inégalable et ce temps a passé si vite que je n’ai pas cru Jehanne quand elle est venue taper au volet pour m’avertir que je pouvais manger désormais, que le jeûne était terminé. Elle m’a tirées de mon extase, frappant de toutes ses forces contre le bois, me disant qu’il importait de rester modérée et de nettoyer ma cellule pour que la vermine ne s’y installât pas, qu’il était inutile de mettre mon corps trop vite à rude épreuve.

 

Extrait 2

   Elzéar vivait le reclusoir comme une partie du corps de sa mère.

   Rien n’a jamais égalé la force de son regard posé sur moi, ce besoin d’un amour absolu, cette emprise, et j’ai goûté au plaisir immense de combler par ma seule présence cet enfant qui, bien que sorti de ma chair, n’était plus moi, mais me restait attaché par des fils invisibles, me laissant partager ses sensations et guider ses premiers pas. Les murs, qui me contenaient, étaient un giron de pierre, un lieu imprégné de ma voix et e mon odeur, qu’il quittait chaque jour comme on se dégage d’une étreinte. Un temps, nos séparations quotidiennes avaient tourné à l’arrachement : il hurlait en s’agrippant de toutes ses petites forces au barreaux, si bien qu’il fallait desserrer les doigts minuscules un à un tandis que je retenais mes larmes en songeant au jour où il s’exilerait pour de bon. Quel pincement en mon âme !

   En grandissant, il n’a plus craint de s’éloigner, il m’embrassait une dernière fois, se serrait fort contre mon cœur avant de passer de mes bras à ceux d’Ivette, il savait que sa mère immobile et n’appréhendait plus ces départs. Quelle étrange expérience que d’apprendre ainsi à vivre chacun pour soi ! Mon fils explorait ce monde qui m’était interdit, mon fils se détachait, sûr de retrouver à sa place dans sa chapelle cette mère scellée dans la pierre.

   La sensation de déchirement m’a vrillé les entrailles chaque jour, chaque fois que mon tout-petit souriant disparaissait de mon champ de vision et qu’il me semblait qu’il partait à l’autre bout du monde, me laissant seule en cette cellule, face à ma folie. Sans lui, que le temps était long !

 

Descriptif

Editions Gallimard année 2011 ISBN 9782070131495, bon état général, couverture souple, tranche et dos moyennement marqués et passés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 14,3x20,6 cm, 208 pages   

 

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