Le livre de poche

MAZEAU Jacques – La rumeur du soir

Réf: rf-ldp6656
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Description

Extrait 1

   Allongée sur le dos, immobile, j’attendais le sommeil qui ne venait pas. Deux jours déjà que j’avais décidé de miner la belle assurance de Lucien. Deux jours aussi que je réfléchissais aux manières de m’y prendre sans en déterminer aucune. Ce n’étais pas si facile que cela.

    Surtout cette nuit-là alors qu’il dormait à côté de moi, une main abandonner sur ma cuisse. Je percevais son souffle régulier. La chaleur de son corps réchauffait le mien. Peut-être même souhaitais-je que sa main inerte amorçât une caresse… Je me retournai. J’étais furieuse de voir ma volonté aussi chancelante, de me sentir encore prête à tous les renoncements.

   L’obscurité m’effrayait. Le silence aussi, ponctué de mille bruits. Un volet qui claquait, les arbres qui frissonnaient, et ces allées et venues incessantes des rats dans le grenier, juste au-dessus de nos têtes.

   Je pensai aux enfants. A Gérard « mon petit dur » comme je l’appelais. Celui que je chérissais le plus. Tout juste âgé de quatorze ans, il parlait déjà comme un homme, avait un avis sur tout. Souvent je lui donnais raison envers et contre tous, uniquement pour qu’il prit confiance en lui.

   Un tempérament bien différent de celui de Colette. Plus jeune de deux ans, un rien l’effarouchait. Qu’on élevât un peu la voix ou qu’il y eût un orage et aussitôt elle se réfugiait dans mes bras. Bien sûr je l’y accueillais, mais à chaque fois je ressentais comme une angoisse qui me faisait évoquer n’importe quel prétexte pour m’en détacher. Elle payait en quelque sorte son tribut au péché originel de Lucien. A peu de jours près, elle était née en même temps qu’une autre fille qu’il avait eue avec une dactylo d’Avalon.

   La colère m’envahit jusqu’à avoir trop chaud et ne plus pouvoir supporter la moiteur du lit. Je décidai d’aller boire un café à la cuisine. Peut-être cela m’éviterait-il de ressasser mes regrets ?

   Je n’allumai pas. La lumière lunaire suffisait pour évoluer dans la pièce.

   Assise, je serrais la tasse brûlante entre mes mains pour me réchauffer. Le poêle à bois avait beau ronfler, il faisait toujours froid dans cette partie du bâtiment à cause de son exposition plein nord.

   Je me sentais à la fois désemparée et effrayée par ma métamorphose, si brutale et impérieuse. Comment pouvais-je en être arrivée là, à imaginer tranquillement la manière de briser mon mari ? Sans l’ombre d’une révolte ? C’était extravagant ! Simultanément, je n’ignorais pas que cette mauvaise conscience tardive n’était en réalité qu’une facette de mon hypocrisie. Ma décision était prise depuis longtemps. De ce jour où Marlène l’épicière, l’une de ces âmes charitables qui aiment charrier la boue, était venue me déniaiser.

 

Extrait 2  

   J’avais hâte de me retrouver chez Jeanne et de ressentir à nouveau les bras de Merlaud cette excitation dont le souvenir ne me quittait plus. Je passai la robe rouille et demeurai plus longtemps que d’habitude devant le miroir à me maquiller.

   Je traversai en coup de vent la cuisine où Julie s’étonna de me voir si « peinturlurée », puis je filai. Probablement la vieille avait-elle dans l’idée que j’allais rejoindre un amant mais je m’en fichais éperdument. Pour le plaisir qui m’attendait j’étais prête à prendre tous les risques.

   Je connaissais par cœur le chemin qui menait de la ferme à Pontaubert. Ce n’était pratiquement que de la forêt touffue. Celle-ci m’effrayait mais j’aimais cette sensation.

   La maison close dominait le Cousin, une rivière au bord de laquelle résidaient quelques riches familles d’Avallon ou même de Paris. Bien que tout le monde connût la nature du commerce de la Jeanne, jamais personne ne l’avait réprouvé. Dans le pays on disait même en riant que Madeleine recevait plus que Lazare, en allusion à l’église d’Avallon.

   Tandis que je roulais à vive allure, je trouvais étrange d’être aujourd’hui une habituée de ce lieu alors qu’il m’avait toujours inspiré une répulsion prononcée. Bien sûr, mon attirance pour Merlaud, ma dépendance même à son égard, y étaient pour quelque chose. Mais il n’y avait pas que cela. L’atmosphère de l’endroit me semblait aussi magique qu’une plante aphrodisiaque. Je me demandai si Lucien avait déjà fréquenté cette maison. Certainement non ! Il avait préféré la roulure d’Avallon. Des bouffées de haine m’échauffèrent le visage ! Jamais je ne lui pardonnerai ! Jamais. D’ailleurs un jour je la retrouverai, et publiquement je la dénoncerai. Cela me donna d’autant plus envie d’être enlacée par Merlaud. Dans ses bras je me vengeais déjà…

   La Jeanne m’ouvrit avec un sourire complice. Je le perçus comme un signe de reconnaissance réservé aux initiés, et j’en éprouvai une certaine fierté. D’épouse imbécile de notable, je devenais une femme privilégiée.

   Désormais, je connaissais chaque marche qui menait à « notre » chambre. J’aurais voulu pouvoir les gravir plus lentement pour mieux sentir mon ventre s’échauffer, mes jambes s’amollir et mon cœur se mettre à battre de manière désordonnée.

   Il m’attendait en slip, et vêtu d’une chemise, entrouverte sur son torse énorme et poilu. Il était laid, repoussant même, et pourtant j’avais envie de tendre la main, et d’aller chercher son sexe dans les replis de son ventre. Cependant je restai debout, encore gauche comme le sont les novices.

 

 

Descriptif

Editions Le Livre de poche 6656 de 1989 ISBN 225305061X, état général moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement marqués et passés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché format poche de 11,2x16,7 cm, 192 pages   

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