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POULAIN Catherine – Le grand marin

Réf: rf-pP4545
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Description

Extrait 1

   Plus aucun signe de la terre où nous avons vécu un jour. La brume encore, toujours. Il fait nuit. La mer ne s’est calmée depuis que nous avons quitté Kodiak. Froid aux pieds déjà dans ces bottes qui n’ont pas séché. Les doigts gourds se battent pour tenter de refermer les cirés. Jude avale une poignée d’aspirine.

   - Tu as mal à tes mains ? Je demande dans un mauvais américain.

   Il lève sur moi un regard surpris, un regard lointain qui perd de son aplomb et vacille un instant. Mais se raffermit aussi vite. Le skipper gueule. Jesse disparaît lâchement dans la salle des machines. John n’est pas prêt, jamais, il a le mal de mer. Jesus et Luis échangent quelques mots en mexicain d’un air morne. Leur teint bistre a viré au vert. Ian enfile nerveusement ses gants avec le regard de celui qui va se faire battre. Je regarde les bourrasques d’eau frapper les carreaux, solidement plantée sur mes jambes – mes jambes de marin, enfin. Le poids de mon corps oscille de l’une à l’autre. Je sens sous mes paumes la rondeur de mes reins durcis qui jouent avec le va-et-vient de la gîte. Ils ne résistent plus aux coups de boutoir qui ébranlent les flancs du bateau, ils dansent et jouent avec.

   Dave pousse la porte, le vent s’engouffre. Nous le suivons sur le pont. Je pense au café auquel nous n’avons pas eu droit. Le skipper nous rejoint, sa tasse fumante à la main. Nous sortons couteaux, gaffes et crocs, détachons la poulie du vireur, basculons le rouleau-guide par-dessus la hiloire. Ian manœuvre le Rebel jusqu’à la bouée qui disparaît dans les creux. Jude saisit la perche, ramène la balise à bord. Le moteur hydraulique se met en marche. La pêche a repris. L’orin remonte. Le skipper gueule. Tout n’est que routine à présent.

   La pêche miraculeuse ne dure pas. Plusieurs fois Dave a posé la main sur l’orin pour en sentir la tension. Trop tendue… a-t-il murmuré d’un air soucieux lorsque j’ai croisé son regard. Le skipper a stoppé le bateau et le moteur hydraulique. Quelque chose n’allait pas. La ligne s’enfonçait à l’oblique dans l’eau. Jude s’était penché au-dessus des flots qu’il scrutait d’un air terrible. Ian avait son visage des mauvais jours. Soudain un claquement sec, des cris, des jurons, la ligne s’était rompue. Tout s’est passé en un instant. Je n’ai pas compris, j’ai fait comme les autres, je me suis ruée sur la corde qui filait. On n’a pas eu le temps de la retenir, elle nous a glissé entre les doigts.

 

Extrait 2

   L’heure du signal approche. Bientôt midi. Chacun est à son poste, Ian à la barre, collé à la radio qui égrène le compte à rebours. Simon dressé sur la passerelle, prêt à lancer balise et bouée. Dave est campé contre le pavois, autour de son bras figé les premières boucles de l’orin qui partiront à sa suite, l’ancre à portée de main. J’ai terminé d’aider Jude à lester et nouer les premières palangres entre elles. Je me tiens en retrait de Dave, prête à lui passer le restant de l’orin. Nous ne parlons plus. Je serre nerveusement le petit couteau rouge qui pend à ma ceinture. La peur me tord le ventre. Un hurlement soudain sort de la timonerie.

   - Let it go !

   C’est parti. Simon envoie, Dave bascule l’ancre et jette les boucles d’orin à sa suite, je lui passe les suivantes, les anneaux de corde s’enfoncent dans les flots. La première palangre suit… C’est reparti. Un vol de mouettes se déploie au-dessus de nous. Nous posons trois sets coup sur coup. Un quatrième ailleurs. Les lignes sont parties dans les hurlements de joie de Dave et Jesse. Ian nous fait rentrer :

   - Prenez des forces, ça va être chaud…

   Nous prenons des forces. Nous sommes sûrs de notre chance. Une dernière fois, je vais rejoindre le grand gars maigre dans la timonerie, plus émacié et blême que jamais

   - On se retrouve… il dit. Ça faisait trop longtemps. Trop à faire à terre. Je devenais fou. Et toi tu aimes bien aller faire un tour aux bars le soir.

   - Pas toujours le bar. J’aime bien aussi traîner au parc Baranof, les glaces au McDo et me promener en ville.

   Il sourit. Il regarde au loin toujours.

   - Ça va pas avec ma femme. On va se quitter. Elle veut demander le divorce. C’est peut-être mieux comme ça. J’ai deux enfants. Un gars de onze ans et une petite de neuf.

   Je n’ose plus rien dire. Nous regardons la mer, éclatante.

   - Ça va bouger, hein ?

   - Ouais, il répond. A minuit on sera en plein dedans.

   - Pourquoi la mer est toujours grosse quand il y a pêche au flétan ?

   - Comment tu veux que je le sache… Tu en dis des belles conneries toi aussi. Je suis pas pote avec celui qui décide en haut.

 

 

Descriptif

Editions Points P4545 année 2017 ISBN 9782757864470, bon état général, couverture souple, tranche et dos légèrement passés et marqués, intérieur frais, livre d’occasion broché format poche de 11,2x18,2 cm, 382 pages.

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