Babel

SAND George - Nanon

Réf: rf-b693
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Description

Extrait 1

   J’entreprends, dans un âge avancé, en 1850, décrire l’histoire de ma jeunesse.

   Mon but n’est pas d’intéresser ma personne ; il est de conserver pour mes enfants et petits-enfants le souvenir cher et sacré de celui qui fut mon époux.

   Je ne sais pas si je pourrai raconter par écrit, moi qui, à douze ans, ne savais pas encore lire. Je ferai comme je pourrai.

   Je vais prendre les choses de haut et tâcher de retrouver les premiers souvenirs de mon enfance. Ils sont très confus, comme ceux des enfants dont on ne développe pas l’intelligence par l’éducation. Je sais que je suis née en 1775, que je n’avais ni père ni mère dès l’âge de cinq ans, et je ne me rappelle pas les avoir connus. Ils moururent tous deux de la petite vérole dont je faillis mourir avec eux, l’inoculation n’avait pas pénétré chez nous ! Je fus élevée par un vieux grand-oncle qui était veuf et qui avait deux petits-fils orphelins comme moi et un peu plus âgés que moi.

   Nous étions parmi les plus pauvres paysans de la paroisse. Nous ne demandions pourtant pas l’aumône ; mon grand-oncle travaillait encore comme journalier et ses deux petits-fils commençaient à gagner leur vie ; mains nous n’avions pas une seule pelletée de terre à nous et on avait bien de la peine à payer le loyer d’une méchante maison couverte en chaume et d’un petit jardin où il ne poussait presque rien sous les châtaigniers du voisin, qui le couvraient de leur ombre. Heureusement, les châtaignes tombaient chez nous et nous aidions un peu à tomber, on ne pouvait pas le trouver mauvais, puisque les maîtresses branches venaient chez nous et faisaient du tort à nos raves.

   Malgré sa misère, mon grand-oncle qu’on appelait Jean le Pic, était très honnête et, quand ses petits-fils maraudaient sur les terres d’autrui, il les reprenait et les corrigeait ferme. Il m’aimait mieux, disait-il, parce que je n’étais pas née chipeuse et ravageuse. Il me prescrivait l’honnêteté envers tout le monde et m’enseignait à dire mes prières. Il était très sévère, mais très bon, et me caressait quelquefois le dimanche quand il restait à la maison.

   Voilà tout ce que je peux me rappeler jusqu’au moment où ma petite raison s’ouvrit d’elle-même, grâce à une circonstance qu’on trouvera certainement bien puérile, mais qui fut un grand événement pour moi, et comme le point de départ de mon existence.

   Un jour, le père Jean me prit entre ses jambes, me donna une bonne claque sur la joue et me dit :

   - Petite Nanette, écoutez-moi bien et faites grande attention à ce que je vais vous dire. Ne pleurez pas. Si je vous ai frappée, ce n’est pas que je sois fâché contre vous : au contraire, c’est pour votre bien.

 

Extrait 2  

   Vers six heures du matin, on frappa à une autre porte. Je répondis qu’on pouvait entrer, et je vis Laurian qui me fit un signe. Je le suivi dans une chambre très belle qui tenait à la mienne et qui était celle de Mme Costejoux la mère. Il me montra sur la table un déjeuner très bon et puis la fenêtre fermée de persiennes à jour, comme pour me dire que je pouvais regarder mais qu’il ne fallait pas ouvrir ; et il s’en alla comme la veille, sans parler, m’enfermant et retirant la clef.

   Quand j’eus mangé, je regardai la rue. C’était la première ville que je voyais, et c’était le beau quartier ; mais le moutier était plus beau et mieux bâti. Je trouvai toutes ces maisons petites, noires et tristes. Pour tristes, elles l’étaient en effet. C’était des maisons bourgeoises dont tous les propriétaires s’en étaient allés à la campagne. Il n’y restait que des domestiques qui sortaient comme en cachette et rentraient sans se parler dans la rue. On y faisait des visites domiciliaires. Je vis un groupe de gens en bonnets rouges, faire ouvrir les fenêtres, aller et venir. Leurs voix venaient jusqu’à moi ; elles semblaient commander et menacer. J’entendis aussi comme des portes enfoncées et des meubles brisés. Une vieille gardienne s’emporta et cria des reproches d’une voix cassée. On cria plus haut qu’elle, et on l’emmena pour la conduire en prison. On emportait des cartons, des coffres et des liasses de papiers. Les gens des boutiques ricanaient d’un air bête et craintif, les passants n’interrogeaient pas et ne s’arrêtaient pas. La peur avait frappé tout le monde d’indifférence et de stupidité.

   Je comprenais tout ce que je voyais et j’étais indignée. Je me demandais pourquoi M. Costejoux, qui à ces violences, à ces insultes envers une femme en cheveux blancs qui disputait le bien de ses maîtres à des bandits. Et les maîtres ! pourquoi n’était-ils pas là ? Pourquoi toute une ville se laissait-elle envahir etd épouiller par une poignée de malfaiteurs ? On prit ailleurs du linge et de l’argenterie. On tua un pauvre chien qui voulait défendre son logis. Les vieillards et les animaux domestiques avaient-ils donc seuls du courage ?

   J’étais en colère quand je revis M. Costejoux, qui, sur le midi, monta dans la chambre où j’étais. Je ne pus me tenir de lui dire.

   - Oui, répondit-il, tout cela est injuste et repoussant. C’est le peuple avili qui se venge d’une manière vile.

 

 

Descriptif

Editions Babel 693 année 2005 ISBN 2742755918, bon état général, couverture souple, tranche et dos légèrement marqués et passés, intérieur assez frais, livre d’occasion broché format poche de 11,3x17,7 cm, 384 pages   

 

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