Julliard

TEY Joséphine – La fille du temps

Réf: pt-jpj2
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Description

Titre original « The daughter of time »

Traduit de l’anglais par Michel DUCHEIN

Extrait 1

   La conversation s’engagea sur les difficultés de la traduction, sur les obscurités de la Bible (« Je me suis toujours demandé ce que le pain sur les eaux pouvait bien être », dit Mrs Tinker), et le moment embarrassant fut oublié. Pendant ce temps, la Moucheronne apporta des vases supplémentaires, mais Grant remarqua qu’ils étaient plutôt destinés à recevoir du lilas que des anémones. C’était visiblement des hommages à Miss Hallard, des avances faites à Miss Hallard. Peine perdue : Marta ne faisait jamais attention à une femme à moins d’avoir d’elle. Son tact avec Mrs. Tinker avait été un simple réflexe conditionné, une démonstration de savoir-faire professionnel. La Moucheronne en fut pour ses frais d’amabilité, et dut dut se résoudre à jouer un rôle muet. Elle ramassa discrètement les narcisses dans le lavabo et les remit dans un vase. Le spectacle de la Moucheronne réduite à la discrétion était le plus agréable qu’il eût été donné à Grant de contempler depuis longtemps.

   - Bon, dit Marta une fois terminé l’arrangement du lilas dans son vase et son installation au pied du lit. Je vais vous laisser avec Mrs. Tinker, pour qu’elle vous gave de toutes les friandises qu’elle vous a apportées. Chère Mrs. Tinker, il n’y aurait pas par hasard dans un de ces sacs, quelques-uns de vos délicieux macarons ?

  Mrs. Tinker s’épanouit.

   - Vous en voulez ? Ils sortent du four.

   - Vous me tentez ! Il faudra que je fasse pénitence ensuite. Ces gâteaux sont un désastre pour la ligne, mais je ne peux pas résister. Donnez-m’en deux, je les mangerai au théâtre avec mon thé.

   Elle choisit deux macarons avec un soin flatteur (« Je les aime un peu bruns sur les bords ») les enveloppa dans un papier, les mit dans son sac.

   - Au revoir, Alan. Je viendrai vous voir demain ou après-demain, et je vous apporterai une chaussette à tricoter. Il paraît qu’il n’y a rien de plus calmant pour les nerfs. N’est-ce pas, Mademoiselle ?

   La Moucheronne, ravie d’être enfin admise à la conversation, s’empressa.

   - Parfaitement. Beaucoup de messieurs, ici, se mettent à tricoter. Cela les aide à passer le temps.

   Marta, depuis le seuil de la porte, envoya à Grant un baiser du bout des doigts, et sortit, suivie respectueusement par la Moucheronne.

   - Celle-là, elle ne m’inspire confiance qu’à moitié, grommela Mrs. Tinker en ouvrant ses sacs de papier.

   Mais ce n’est pas de Marta Hallard qu’elle parlait.

 

Extrait 2

   Grant avait éteint la lampe à la tête du lit et commençait à s’assoupir, quand une voix intérieure lui murmura : « Mais Thomas More… c’est Henry VIII ! »

   Du coup, il se réveilla et ralluma la lumière.

   Evidemment Thomas More et Henry VIII n’étaient pas une seule et même personne ; mais en rangeant les personnages par règne, aucun doute n’était possible : Thomas More était bien le contemporain du roi aux six femmes.

   Grant réfléchit, les yeux fixés sur le cercle lumineux que projetait la lampe du plafond. Thomas More était chancelier d’Henry VIII. Pour avoir connu Richard III, il fallait donc qu’il ait survécu au long règne intermédiaire d’Henry VII. Bizarre…

   Il allongea la main et prit le livre de More. Au début, il y avait une préface qu’il n’avait pas encore lue. Quel âge avait-il donc quand Richard III était monté sur le trône ?

   Cinq ans !

   Eh oui : au moment de la fameuse scène à la Tour, le vertueux More avait cinq ans. Quand Richard était mort à Bosworth, More avait huit ans. Tout ce qu’il avait écrit sur ce règne était fondé sur des racontars. Et s’il y a une chose qu’un policier déteste, c’est bien un témoignage fondé sur des racontars.

   De dégoût, il jeta le précieux volume à terre, oubliant qu’il appartenait à la Bibliothèque Municipale et qu’il ne lui avait été prêté que par protection, et pour quinze jours.

   Ainsi, More n’avait jamais connu Richard III ! Il avait grandi sous le gouvernement des Tudor. Son livre, qui était la Bible des historiens pour le règne de Richard, ce livre où Holinshed et, par conséquent, Shakespeare avait puisé leur documentation n’avait pas plus de valeur qu’un roman-feuilleton. « Bouillie pour les chats ! » aurait dit cousine Laura.

   Que More ait été doué d’esprit critique et d’une parfaite honnêteté, cela ne changeait rien à l’affaire. Bien des gens par ailleurs honorables ont cru à l’histoire du débarquement des troupes russes en Angleterre. Grant connaissait trop l’intelligence humaine pour accepter comme preuve valable le récit d’un événement ou d’une conversation. D’ailleurs, il se rappelait certains grands hommes qu’il avait connus, et leur incroyable naïveté : tel savant illustre qui croyait dur comme fer aux médiums et aux évocations d’esprits, tel psychologue célèbre qui s’était fait rouler comme un enfant par un escroc sous prétexte qu’ »il aimait juger les gens par lui-même et non par leurs dossiers de police ! »

 

Descriptif

Editions Julliard Collection PJ 2 année 1969, état général moyen, couverture souple, tranche et dos marqués et passés, intérieur assez frais, tranche incurvée, livre d’occasion broché grand format de 13,5x20,2 cm, 256 pages   

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