TORRETON Philippe - Mémé

Réf: rf-iptm
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Description

Extrait 1

   Lorsque tu étais dans l’étable toute seule avec tes envies d’émoi, écoutais-tu les sons ambiants avec les oreilles d’un Pierre Henry ? Les flèches de lait tombant dans le fer-blanc, la basse continue des mâchoires pleines de foin, le cliquetis de chaînes râpant les bois de la mangeoire, un sabot piaffant, une dégringolade de bouse, un long soupir d’une vache soulagée, les jets d’urine, le gazouillis d’une hirondelle allant et venant dans l’étable, les claques de tes mains sur les croupes récalcitrantes… Tous ces sons t’inspiraient-ils une messe pour ton temps présent à toi ?

   C’est pour cela mémé que j’aime bien aller dans les écoles pour parler de mon métier de saltimbanque, que j’aime les mots des yeux de celui ou de celle qui découvre le théâtre, c’est toi que j’ai en face de moi dans ces moment-là… la mignonne de la chanson qui rêve.

   Toi qui es venue me voir à la Comédie Française dès que tu as pu, du fond de la campagne tu as profité de la première occasion. On y jouait Le Barbie de Séville et moi Figaro. Mes parents t’ont accompagnée, la voiture jusqu’à Bernay puis le train Corail pour la première fois de ta vie jusqu’à Saint-Lazare et un dernier trajet en taxi pour arriver très en avance place Colette comme le prénom de ta deuxième. Tu as dû monter deux fois à Paris et la seconde fois fut pour ton petit-fils.

   Mémé est dans la salle ! Tout le Français était au courant, tu avais acheté une robe, tes cheveux sentaient encore le savon de coiffure et leur laque à canards, tu avais ressorti ton collier de petites perles et des boucles d’oreilles qui te pinçaient très fort les lobes.

   Mémé est dans la salle ! Et je suis dans la fosse d’orchestre avec les musiciens, un trac de fou dans la panse. Ça y est, Paris est jumelé avec Triqueville, c’est officiel.

   Ma mémé est assise sur un fauteuil en velours rouge et moi je suis en costume de soie à double trame juste pour rire. C’était un dimanche en matinée pour que tu puisses retourner chez toi le soir même. Je crois que tu avais aimé le spectacle, mes parents t’ont accompagnée jusqu’à ma loge, j’étais ému que tu te sois donnée cette peine… Je voulais te montrer mon outil de travail, si tes jambes et ta fatigue ne t’avaient pas tirée par la manche pour retourner au bercail je t’aurais tout dévoilé. Je voulais que tu voies la cantine, les dessous, les dessus, l’atelier tailleur. Je t’ai présenté Maddy mon habilleuse. La Comédie Française c’était ma ferme mes champs, mes prés, c’était là que je ne comptais pas ma peine, c’était là que je m’usais chaque jour… Tu as aimé mon jardin et ma cour, mon lointain se rapprochait de toi…

 

 

Extrait 2  

   Mémé faisait pousser le vivant qu’elle connaissait depuis toujours – les vaches avaient des noms de filles -, je me souviens d’une Brigitte qui mangeait à part. On les appelait en disant « tâtuu tâ tâtuu tâ » et elles venaient, les petits veaux accouraient aussi lorsqu’on disait « tâ tou petit ti vite ti vite !!! », les poules, elles, elles avaient leur cri de ralliement, une espèce de « cojuc cojuc cojuc ». Mémé la silencieuse laissait partir sa voix et les bêtes rappliquaient. Parfois des « crénom », des « sacré guenon » pleuvaient sur la bête récalcitrante. Les dindons glougloutaient en nous poursuivant, les coqs pouvaient être teigneux, et le bourri nous faisait hésiter lorsqu’on voulait couper à travers champ… Cette vie domestique avait pour moi un goût de sauvage, un goût de liberté, un goût de seul au monde. Grâce à toi je sais faire du feu.

   Mémé ne connaissait pas le cours des matières premières, ni la politique agricole commune, mais elle voyait déjà la campagne changer, les tracteurs enfler d’année en année, comme les gens. Elle ne s’étonnait donc pas qu’il faille élargir les chemins pour qu’ils puissent circuler. Ces monstres agricoles frottaient ses talus et cassaient les branches de ses chemins, ses bâtiments fatigués devenaient ridicules, cernés par les hangars neufs.

   Mémé qui replantait toujours les arbres cassés ou trop vieux, mémé planquée derrière ses haies pendant qu’au loin brûlaient des autodafés de souches et de troncs d’arbres hérétiques venant transformer le bocage en plaine. L’exploitation agricole gagnait du terrain, ses petites parcelles biscornues empêchaient les beaux rectangles. Mémé avait son barrage contre le Pacifique, l’empêcheuse de labourer tout droit, un de ses arpents qui s’appelait « la pointe ».

   Le cidre de mémé ne pouvait se vendre en grande surface. Quand le sucre manquait il fallait faire avec, on le buvait avec la grimace, les habitués riaient, ça fait pousser la moustache disaient-ils. Chez mémé, la nature avait ses droits et mémé ne les contestait pas, elle prenait sur elle en pestant mais que faire ? Les poules pouvaient se payer le luxe d’avoir la couvade, un goupil pouvait changer la donne en fin de mois dans le cheptel de gallinacées ; Les œufs pouvaient être sales, le lait gras irisé de jaune, parfois des poils de vache flottaient dedans – entre le pis et l’assiette il n’y avait pas bien long -, et on le buvait tiède comme les veaux sous la mère.

   Mémé n’exploitait pas l’agricole…

 

Descriptif

Editions L’Iconoclaste année 2014 ISBN 9782913366619, état général moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement marqués et passés, Intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 13,7x18,7 cm, 162 pages    

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