Folio

VIALATTE Alexandre – Le fidèle Berger

Réf: rf-f1563
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Description

Extrait 1

   « Je sentirai toujours, dit Berger quelque part dans ses notes presque illisibles, l’odeur de cette cave voûtée. Je n’oublierai pas cette fenêtre grillée, ni cette ampoule bleue à laquelle il fallut demander le secours de la mort, ni le soleil qu’il y avait au-dehors sur les orties et sur les pierres ; ni les cris de la femme au premier, ni les rires des enfants qui étaient pires que ses larmes ; ni les javas d’accordéon qui entouraient ce bain de sang d’une complication de volutes et de dorures, comme un orgue de chevaux de bois. Ni le petit vieillard, juteux comme une limace, qui passait dans la cour torride, avec sa barbiche, sa casquette, sa canne d’aveugle et son veston de jockey. Ni le lit debout, la chaise dessus. Ni les nègres aux têtes enturbannées de pansements ; ni les médecins en cornette blanche… Et l’autre qui repassait constamment, derrière la fenêtre grillée, comme le balancier d’une pendule. »

   Suivaient des pages d’apocalypse.

   « … Ni le grand calme qui se fit, ajoute Berger, comme une clairière au milieu du cauchemar, quand je vis ce qu’il fallait faire ; la délibération ; les obstacles à vaincre en préservant toute la logique du raisonnement au sein de la folie qui l’assiégeait de partout et en la poussant jusqu’au bout, comme un bateau dans la tempête, sûr de sombrer, mais qui fait tout ce qu’il faut pour garder le cap en cas de miracle et retrouver, sans y croire, le soleil. Je ne savais pas à ce moment-là qu’il y aurait pire, ni qu’il manquait tant de déserts dans nos atlas. »

   Il semble bien que cette scène énigmatique ait été l’un des points culminants du drame. Elle ne s’explique qu’à la lumière d’autres détails qui me sont venus par la suite.

   Tout commença par une grande nuit où la colonne défilait sur la route, sans armes, sans chevaux, sans cartouches, écrasée moins par la défaite que par une énigme terrible, par une réalité qu’on ne comprenait pas.

   Ils étaient tant qu’on ne peut pas dire le chiffre.

   Ils avaient déjà fait cinquante-neuf kilomètres. Ils devaient en faire soixante-quatorze ce jour-là.

   Ils n’avaient pas mangé de deux jours, sauf un œuf cru qu’un paysan avait donné à Duhourceaux, le brigadier mitrailleur, un petit Limousin, sabotier de son métier, qui ressemblait avec son profil aquilin, sa moustache brune et ses yeux de châtaigne, à un soldat de 1912. Il avait partagé cet œuf avec Berger.  

 

Extrait 2

   Berger se réveilla dans une cellule dallée.

   Les murs étaient épais d’un mètre. En face de lui un judas grillé le regardait au milieu d’une porte verte. Derrière lui, sur la gauche, une petite fenêtre munie de barreaux en quadrillage s’ouvrait à ras du sol sur des démolitions. Les murs se terminaient en voûte. Au croisement de leur double ogive une petite ampoule bleue promettait pour la nuit une lumière sépulcrale.

   - Ça manque de gaieté, se dit Berger.

   Il était dans un lit de fer.

   Sur une table de nuit, à sa gauche, il trouva un peu de tabac, une assiette en métal, une cuillère. Pas de couteau, pas de fourchette, pas d’habits.

   - Et voilà… fit-il à voix haute.

   Personne ne risquait de l’entendre. Il se leva par acquit de conscience pour voir si la porte s’ouvrait. Elle ne bougea pas plus qu’une dalle cimentée. Il regarda par le judas. Il distingua un couloir sombre et large ; les murs de plâtre et le jour crépusculaire faisaient une lumière de manège, une pénombre d’écurie.

   - Ça ferait pour vingt chevaux, se dit Berger.

   Il revint se coucher, roula une cigarette, s’appuya sur un coude et se mit à réfléchir.

   Quelque part, on ne savait où, une femme chantait.

   Il entendait deux accordéons et un bruit de danse.

   Il regarda par la fenêtre au ras du sol. Il aperçut une cour immense, un vague trottoir, un terrain vague, des démolitions, des plâtres. Il faisait soleil : un soleil triste qui n’éclairait que des orties. En se rapprochant beaucoup de la fenêtre on découvrait un ciel d’émail entre deux murailles en ruine, à hauteur d’un troisième étage. Des morceaux de papier peint restaient sur les cloisons d’une ancienne salle à manger : des prunes violettes sur un fond jaune ; les cheminées avaient disparu, mais la fumée avait laissé une trace noire et grasse sur les murs tout le long de son itinéraire. Et c’était le même soleil torride et désespéré qu’autrefois sur la place du grand homme de bronze. 

 

 

Descriptif

Editions Folio 1563 année 1984 ISBN 2070375633, état général moyen, couverture souple, tranche et dos passés et un peu marqués, pages moyennement jaunies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 254 pages.

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