Grasset

WOLFROMM Jean-Didier – Diane Lanster

Réf: rf-gjdwdl
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Description

Extrait 1

   Ma peau pesait sur moi de toute sa force, j’en ressentais le moindre pli, la plus minuscule parcelle étendue, collée à moi, rapiécée. Ce vêtement éternel qui aide à la volupté et détermine les sensations, que l’on exhibe sur les plages comme la première et la plus authentique des vertus n’était pas pour moi sujet de fierté. Je la cachais, l’emmitouflais pour l’étouffer et qu’on ne voie pas la bataille qu’elle me livrait.

   Le monde basculait à chacun de mes pas d’une lancinante secousse, la rue s’enfonçait puis sautait au ciel jamais sauter assez haut pour s’envoler.

   Pourtant je n’aurais pas aimé être normal. On m’aurait pris pour n’importe lequel des soupirants de Diane. Alors que dans la rue, juxtaposé à elle, si hautaine, si droite et moi si tordu, si appliqué à marcher droit, nous formions un couple plus amusant qu’émouvant, nous intriguions et j’en étais heureux.

   Où allions-nous ? Prendre un demi au café du coin pendant un repos, ou jusqu’à la voiture puisqu’elle tenait à me raccompagner chez moi, « c’était sur son chemin. »

   Comme je n’étais pas d’un naturel questionneur je n’appris que plus tard le détour qu’elle faisait et lorsque je connus son adresse, ce détour compliqua ma vie car il signifiait quelque chose ; les autres ne s’y trompaient pas : par certaines questions qu’ils me posaient, je comprenais que Diane et moi, moi et Diane, Diane et Thierry ensemble, l’un suivant l’autre, l’une riant avec l’autre, elle m’aidant, moi la conseillant, formions un couple étrange.

   Sartre a écrit que les racistes créent le racisme, ce furent les autres qui en me regardant avec elle (vous vous souvenez de leurs regards ?) m’apprirent l’étrangeté de ma situation. Tous me poussaient à me poser, sur elle, à propos d’elle, des questions, tous sauf elle ; si vraie, si logique dans son aide et dans ses gestes. Oh Diane ! Comme nous nous aimions lorsque nous ne nous connaissions pas.

   Une voiture : petite caisse rouge, éclatante et basse, à toute vitesse, dépassant rutilante de lourds autobus verts, gonflés mauvaise humeur. Les voyageurs juchés du haut de leur plate-forme nous dévisageaient avec agacement pendant les arrêts. Elle allumait une cigarette pour moi et puis pour elle, Gitanes jaunes et cendrignolantes, mégots épais entre ses lèvres délicates : « des goûts de sapeur », pensais-je.

 

Extrait 2

   Le lendemain après-midi sous les verrières du dernier étage de l’école, douze bustes du Christ de Vézelay nous attendaient posés sur des tabourets bas afin qu’ils soient à hauteur d’œil lorsque nous étions assis. L’épreuve dite d’»antique » commençait. Nous avions deux jours en deux fois six heures pour capter ce regard hautain, cette majesté hiératique qui nous attendait depuis le XIe siècle roman.

   Etrange face à face de ces milles jeunes gens avec le mystère de la pierre qui nous posait la cruelle question de notre propre talent. En dessin pas de faux-fuyant possible, plus on y passe de temps meilleurs il est. A plusieurs reprises déjà nous avions été confrontés avec cette chevelure longue et ondulante, ce nez cassé par l’érosion du temps, ces épaules énormes et cette tête anguleuse aux larges méplats qui offrait peu de prise à l’ombre. Pourtant chaque heure, chaque minute parfois nous rendait un détail dans la lumière changeante du jour déclinant, un profil, une intention que nous n’avions pas encore perçus. J’étais arrivé tranquillement seul pour une fois, avec mon carton sous le bras et mes fusains dans la poche, matériel léger pour la plus lourde des épreuves.

   L’atmosphère de l’atelier où les candidats s’étaient placés par affinités avec leurs condisciples était à la fois dissipée et studieuse. On circulait, on plaisantait, quelqu’un remarqua : « C’est aussi difficile qu’un morceau injouable de Paganini. », un autre fit rire en disant : » J’espère qu’il prie pour moi. » Contrairement à la veille, la musique était tolérée pourvu qu’elle soit douce, ainsi parfois s’élevait un air langoureux de trompette ou le son aigrelet d’un harmonica, et l’on s’acharnait à le restituer, ce Christ, sur notre feuille blanche, à le faire « tourner » dans l’espace. Je m’étais placé de trois quarts mais après un essai je décidai de le dessiner de profil et me déplaçai sans trop de difficultés, secondé par mon mangeur de cerises de la veille.

   Je ressentais la solitude voluptueuse du dessinateur de fond. J’écoutais le crissement répété et lent du fusain sur la feuille de papier Ingres légèrement grumeleuse. Je m’interrogeais sur ce sculpteur bourguignon dont nous ne saurons jamais rien sinon qu’il avait vu Dieu en face.

 

Descriptif

Editions Grasset année 1978 ISBN 2246006848, bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu salis et marqués, intérieur assez frais, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché grand format de 13x20,5 cm, 250 pages   

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