AGUS Milena – Sens dessus dessous

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Description

Titre original « Sottosopra » Milena Agus ; 2012.

Traduit de l’italien par Marianne FAUROBERT

Extraits

1/   Ici, dans l’appartement de Cagliari, je m’imaginais une foule de choses à propos des Johnson, qui vivaient à l’étage du dessus. Je ne les voyais jamais, puisque je ne venais que l’été quand, à ce que disaient leurs domestiques, ils partaient sur la côte, dans des endroits à la mode, pour les nantis.

   Je ne les voyais jamais et je les imaginais riches, très riches, c’étaient eux, forcément, les Johnson & Johnson de mon savon liquide. Les Johnson n’habitaient l’immeuble que l’hiver, parce que le climat est doux, ici à Cagliari. Aux demi-saisons, ils s’installaient à Paris ou madame, avec son décolleté et son chignon banane retenu par une épingle ornée de brillants, renouvelait sa garde-robe. Ils employaient un personnel nombreux. En pyramide. Les domestiques du sommet en avaient d’autres sous leurs ordres, et ainsi de suite, jusqu’à la base.

   Celles-ci, qui m’avaient prise en amitié, m’apprirent que Mr Johnson n’était pas un industriel, mais un célèbre violoniste, et qu’il n’avait pas du tout l’air d’un riche. On aurait plutôt dit un fuliau de sa maretta, une épave, rejetée sur le rivage par les vagues. C’était sa femme qui était riche et se faisait appeler Mrs. Johnson bien qu’elle fût à cent pour cent : parents, aïeuls, bisaïeuls, tous des Sardes. Le monde à l’envers, en somme, car entre un Américain et un Sarde, disaient les domestiques, le plus riche n’est-il pas forcément l’Américain ? Elles me parlaient aussi de la beauté de Mrs. Johnson, si chic, si parisienne, et qui, pour rester mince, ne mangeait rien de ce qu’elle leur faisait acheter au marché. Les provisions étaient destinées aux invités. Elle était à cheval sur les bonnes manières et, à l’heure du déjeuner, agitait sa clochette d’argent même si tout le monde était dans les parages et qu’il aurait suffi de dire à voix haute : « A table ! ».

   Elle se mordait les doigts d’avoir acheté ici, à la Marna, un quartier pauvre peuplé de naufragés du Pakistan, du Bangladesh, du Sénégal, du Maghreb et de Chine. Où le linge étendu vous gouttait sur la tête, où vous ne pouviez échapper aux odeurs d’ail, de friture, d’épices, de gazole et de pisse quand enfin surgissait un parfum, c’était celui du patchouli. Un quartier où Blancs, Jaunes et Noirs criaient par les fenêtres, où les femmes prenaient le frais assises sur des bancs face à des portes en aluminium, qui laissaient entrevoir d’étroits escaliers obscurs, et où, à l’heure de la prière, des haut-parleurs diffusaient la voix du muezzin et une foule priait dans la rue, devant l’appartement qui servait de mosquée. Mais elle se vantait de sa vue sur le port.

 

2/   Personne n’a jamais vu le fils Johnson. Sur les photos il est toujours enfant. Anna ne pose pas de question de peur qu’il y ait là-dessous une vilaine histoire. Pourquoi cet enfant n’a-t-il pas grandi ? Pourquoi est-il toujours photographié en compagnie de personnes différentes, de bandes de gamins qui le bousculent joyeusement et n’ont rien à voir avec Mr. Et Mrs. Johnson ?

   Ici, à la Marina, on sait que Johnson junior est en vie et qu’il habite New York, ou peut-être Paris, ou encore Milan, mais dans les boutiques où Mr. Johnson fait ses courses, on n’a pas compris grand-chose aux réponses qu’il donne quand on lui pose des questions sur son fils.

   Aussi, un jour que j’étais montée prendre soin des fleurs et que Mr. Johnson était là, j’ai désigné une des photos et je lui ai demandé : « C’est votre fils ? »

   - Non, c’est mon petit-fils : m’a-t-il répondu avec un beau sourire, en saisissant le cadre et me le tendant, pour que je puisse voir la photo de plus près.

   - Américain, lui aussi ?

   - Oui, mais il vit à Milan, en ce moment, avec mon fils.

   - Et la maman ?

   - Je ne la connais pas.

   - Américaine également ?

   - Elle vit en Amérique. Je ne sais pas si elle est américaine.

   - Ils ne viennent jamais à Cagliari ?

   - Maintenant que ma femme est partie pour de bon, ils vont venir habiter ici, chez moi.

   - Votre femme et votre fils ne s’entendaient pas ?

   - Mon fils s’entend avec tout le monde.

   - Et quel métier fait-il ?

   - Il a enseigné l’italien à New York, puis l’anglais à Paris, et le français à Milan, il enseignera ici, maintenant.

 

Descriptif

Editions Liana Levi Piccolo 136 de 2017 ISBN 9782867469565, état général bon, couverture souple, tanche et dos légèrement marqués et passés, pages moyennement jaunies, livre d’occasion broché format poche de 12,2x18,2 cm, 160 pages

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