Le livre de poche

BAZIN Hervé – Vipère au poing

Réf: rf-ldp58
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Description

Extrait

1/   Ainsi fut fait. Devant nous, grand-mère se tint assise, le dos calé entre deux oreillers. Elle ne paraissait pas souffrir, alors que je l’ai su depuis, cette fin est l’une des plus douloureuses. Aucun hoquet. Pas un gémissement. On ne donne pas ce spectacle à des enfants qui doivent emporter de vous dans la vie le souvenir ineffaçable d’une agonie en forme d’image d’Epinal. Elle nous fit mettre à genoux, se donna beaucoup de peine pour soulever la main droite et, à tour de rôle, nous la posa sur le front, en commençant par mon frère, l’aîné.

   « Que Dieu vous garde, mes enfants ! »

   Ce fut tout. Il ne fallait pas trop présumer de ses forces. Nous nous retirâmes à reculons, comme devant un roi. Et, aujourd’hui, à plus de vingt ans de distance, encore remué jusqu’au fond du cœur, je persiste à croire que cet hommage lui était dû. Grand-mère !... Ah ! Certes, elle n’avait pas le profil populaire de l’emploi, ni le baiser facile, ni le bonbon à la main. Mais jamais je n’ai entendu sonner de toux plus sincère, quand son émotion se grattait la gorge pour ne pas faiblir devant nos effusions. Jamais je n’ai revu ce port de tête inflexible, mais tout de suite cassé à l’annonce d’un 37°5. Grand-mère, avec son chignon blanc mordu d’écaille, elle aura été ppour nous l’inconnue dont on ne parlait point, bien qu’on priât officiellement pour elle deux fois par jour, elle aura été et restera la précédente, l’ennemie parfaite comme une légende, à qui l’on ne peut rien reprocher ni rien soustraire, même pas, et surtout pas, sa mort.

   Grand-mère mourut. Ma mère parut.

   Et ce récit devient drame.

 

2/   Sursis pour les représailles. Le fiel de Folcoche se remit à brasser des cailloux. Mais cette fois Mme Rezeau sentit venir la crise. Elle quitta le grand salon, encore plein de monde, sans donner l’alarme, et s’en fut tout droit à l’armoire de pharmacie, dont elle retira la seringue de Pravaz et une ampoule de morphine. Une heure plus tard, nous la retrouvions sur son lit. Elle avait eu le courage d’enlever sa robe de lamé, de l’accrocher sur une cintre. Elle dormait, bien détendue, enroulée dans sa robe de chambre. Je fus étonné de l’expression de son visage. Les traits de Folcoche, dans son sommeil, s’amollissaient. Le menton lui-même perdait de sa sécheresse. Oui, la vipère, tous yeux éteints, la vipère du pied du platane, une fois morte, manquait de métal.

   « Papa, vous ne trouvez pas que maman ne se ressemble pas quand elle dort ? »

   M. Rezeau considéra sa femme quelques instants et me fit soudain cette étonnante réponse :

   « C’est vrai qu’elle est mieux sans masque. »

 

Descriptif

Editions Le Livre de poche 58 année 1963, Etat général Moyen, couverture souple avec un coin corné, tranche et dos moyenne passés et marqués, pages jaunies, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x16,7 cm, 256 pages

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