Michel Lafon

CAUWELAERT Didier van – Le journal intime d’un arbre

Réf: rf-mldvcjia
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Description

Extrait 1

   Ma première nuit couché. Contacts répétés de mes ramures avec ceux qui jusqu’alors n’avaient fréquenté que mes racines : les vers de terre, les fouisseurs, la taupes… Des écureuils me longent, perplexes, grimpent sur leurs branches familières qui ont changé d’orientation : les verticales sont à présent parallèles au sol et les horizontales se dressent vers le ciel. Le vieux hibou a décrit des cercles autour de moi, avant de partir en quête d’un autre abri : la cavité où il logeait se trouve sur ma face contre terre, inaccessible. Les chauves-souris me frôlent, mémorisent par leur sonar mon nouvel emplacement dans le paysage. Je brouille les repères du jardin. Je dérange.

   Toujours aucune information en provenance d’Isolde. C’est normal. Trop de chose nous ont séparés pour que ma chute nous rapproche. Sa greffe en premier lieu. Sous Louis XV, on lui a enté des scions de Messire-Jean qui ont donné des poires très supérieures aux miennes pendant plusieurs générations, avant qu’elle ne souffre du manque de lumière. Je lui volais le soleil tout en prenant ombrage des attentions qu’on lui témoignait – jusqu’à la tempête qui lui fit perdre aux yeux des humains tout à la fois son esthétique et sa fonction. Dérangés par sa vue, depuis, les regards se détournaient pour m’admirer. Que se passera-t-il, maintenant ? Privé de notre symétrie au milieu du jardin, elle leur paraîtra plus moche encore. Peut-être finiront-ils par la couper, et ce sera à cause de moi. De mon absence.

   Isolde. Je crois que je n’ai rien à attendre d’elle. Si je pourris sur place, elle profitera de mes nutriments qui enrichiront l’humus. Si l’on m’évacue, elle jouira de l’espace libre. Dans les deux cas, mon souvenir n’aura que faire en elle. Tant que des humains le solliciteront, il répondra présent. Je dépends de vous, désormais, frères mobiles et changeants, de vous seuls. Du moins je le crois. Je n’ai plus d’autre avenir que votre passé.

   J’aimerais que Yannis Karras, l’homme en train de reconstituer mon historique, me découvre avant le docteur Lannes. Parce qu’il est jeune, et que je ne suis pour lui qu’une relation de travail. Il a d’autres arbres dans sa vie ; il surmontera le choc. Il pourra préparer mon vieux propriétaire à l’épreuve qui l’attend…

   Je ne connaissais pas cette angoisse. Faire de la peine. Me sentir coupable par avance. C’est curieux : à mesure que se raréfient les informations transmises par l’unique racine qui me relie encore au sol, on dirait que je suis davantage perméable aux émotions des humains hors de portée. Je les sens mieux.

 

Extrait 2

   La famille est partie à la tombée de la nuit. A présent la maison est redevenue paisible, le lave-vaisselle efface les dernières traces de la fête. Hélène a repris possession de sa cuisine et je me trouve seul avec Georges et Yannis.

   Le critique d’arbres regarde le vieux médecin qui tient sur ses genoux l’un des rondins découpé dans mon tronc. Sa main effleure les cercles accusant mon âge, suit leur dessin, de l’écorce jusqu’au bois de cœur, comme pour me faire remonter le cours de ma vie. Je ne veux pas. Je ne veux pas que la voix revienne. Je veux rester avec eux, j’appartiens à leur présent, je refuse d’aller plus loin que leurs souvenirs.

   - Vous croyez qu’il va prendre ?

   Prendre… Le même verbe, au début de ma vie comme au terme. La même anxiété portée par le même mot, et pour dire le contraire. Oui je prends. Au bout de quelques minutes. Mon bois est dur, dense, mais ma sève est plutôt volatile et le feu se propage aisément dans mes fibres.

   C’est Georges qui a choisi la part de moi qui allait brûler en premier, et sa décision me bouleverse. Il est difficile d’en préciser les mobiles : hommage, remords, sacrifice, lâcher-prise se mêlent dans sa tête en toute contradiction. Mais seul le résultat importe.

   A mesure que les flammes attaquent l’écorce du rondin, je sens l’aubier se dilater autour de la balle allemande. Et le souvenir s’échappe. Une dernière fois, les soldats enfoncent la porte, investissent la chaumière, cherchent l’enfant. Jacqueline se met en travers de l’escalier, un couteau à la main.

   - Jacques, sauve-toi, vite !

   L’Allemand lui arrache le couteau, le lui plante dans la gorge, grimpe à l’étage avec les trois autres. Georges se précipite sur sa femme en hurlant, comprime de toutes ses forces l’artère sectionnée pour éviter qu’elle ne se vide de son sang.

Déjà, le petit jacques a sauté par la fenêtre de sa chambre. Il est si agile, si rapide, si maigre. Les types du Maquis avaient raison : il était le seul à pouvoir s’introduire avec la bombe par le soupirail de la Kommandantur. Il aime être un héros. Lui qui est si nul à l’école, au tennis, au piano, il a enfin trouvé quelque chose qui l’intéresse.     

 

Descriptif

Editions Michel Lafon année 2011 ISBN 9782749915005, état général bon, couverture souple, tranche et dos un peu passé et salis, intérieur assez frais, livre d’occasion broché grand format de 14,3x22,7 cm, 256 pages 

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