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DJEBAR Assia – Les enfants du nouveau monde

Réf: rf-1018771
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Description

Extraits

1/   Dans le vieux quartier arabe, au pied de la montagne, les maisons se ressemblent. Dans ces lieux où s’étendait autrefois, de la ville maintenant agrandie, le seul faubourg – celui où les familles aisées de l’époque aimaient venir, dès la fin du printemps, pour y trouver, près des sources et des vergers proches, un peu de fraîcheur – chaque demeure est le fond d’une impasse où l’on fait halte après qu’on s’est perdu dans un dédale de ruelles, de silence qui ne se troublent à présent que des chuchotements, coupés soudain de cris stridents, des enfants que les mères voudraient en vain retenir chez elles. La garde peut survenir à tout moment ; à peine ont-elles alors le temps de les faire rentrer précipitamment, de leur bâillonnée la bouche pour étouffer contre la porte leurs murmures et, les soldats passés, d’aller s’installer au fond de leur chambre, chaque mère avec sa couvée, assise là, à même le carrelage ou sur un matelas, des heures entières et, par la porte au rideau soulevé, grande ouverte sur la cour et les bassins, de contempler avec calme le spectacle qu’avait annoncé la garde et qui commence : la montagne dans les feux de la lutte.

   Ces jours de grande opération passent vite dans ces demeures qu’on croit toujours aveugles mais qui bâillent désormais à la guerre sous son masque de jeu immense dessiné dans l’espace. Les avions, points noirs dont on distingue de là les courbes et le sillage blanc du vol, arabesques éphémères que le hasard semble tracer, comme une écriture mystérieuse mais qui tue. – « Ah Dieu ! » crie une femme quand l’un d’entre eux plonge droit au milieu d’étincelles et de balles qu’on imagine, puis jaillissant d’une fumée qui court au sol (« La mort, il a apporté la mort, le maudit ! »), le voici dans une nouvelle volute longue, haut dans le ciel ; intervient ensuite la canonnade proche, si proche que les murs en sont secoués.

 

2/   Depuis quand vivait-elle là, au dernier étage de cet immeuble vide, au bord de la route ? Lila n’aurait su le dire. Elle ne s’interrogeait pas, pourquoi compterait-elle les jours ? Était-ce aujourd’hui au début de l’aurore, ou hier à l’aube, ou bien voici trois jours, quatre, qu’elle était entrée dans ces lieux ensoleillés, fraîchement repeints, d’un pas rôdeur, comme si le hasard seul l’y poussait. Elle avait suivi un petit homme, le concierge, qui s’empressait. L’ascenseur, non, elle ne prendrait pas l’ascenseur ; oui, elle voulait tout visiter, tout parcourir de son même pas qui avait le temps. (Qu’est-ce que le temps, depuis le départ d’Ali ? un océan noir étalé devant elle, que ne sillonnait rien, aucune voile, où s’ouvrait rien, aucune route.) Le petit homme, devant elle, se hâte, explique, présente :

   - Deux appartements par étage. Je vous conseille l’exposition sud. Du soleil, toute la journée… l’immeuble est neuf ; construit l’an dernier, pour des familles de fonctionnaires. Un architecte venu spécialement de France… Oui, tout est encore vide… euh ! avec les événements, certains n’osent y habiter… L’éloignement, vous comprenez ?... Le voisinage aussi. Vous êtes seule ?

   « Je suis seule, se dit Lila ; je vais habiter seule. Quelle importance ? »

   - Ce que je vous disais, excusez-moi, ma petite dame, c’était pour vous donner des conseils… Il faudra que vous choisissiez avec soin la Fatma qui vous servira.

   - Une Fatma choisit toujours bien un autre Fatma !

 

3/   Printemps 1956. Pour l’Algérie, c’est le temps de la guerre, de la lutte pour l’indépendance. Ceux qui combattent savent qu’ils risquent l’exil, la prison, la torture, la mort. Les couples se séparent. L’homme rejoint le maquis, la femme devient attente. Bachir l’étudiant quitte la faculté pour défendre sa patrie ; Chérifa n’a pas su demander à son mari de le suivre dans la montagne ; l’amour brûlant de Lila et d’Ali a dû céder la place à la Révolution ; Amma, la femme du policier Hakim, apprend à mentir à son mari pour défendre ses frères algériens ; Tawfik tue sa sœur qui a servi d’indicatrice à la police ; Hassiba, qui a seize ans, apprend à marcher dans la montagne des nuits entières et à soigner les blessés. Tous ceux avec qui Assia Djebar nous fait vivre quelques instants, du véritable éveil. Ils sont les enfants du nouveau monde, ceux pour qui la conscience et l’espoir ont triomphé de la peur.

Descriptif

Editions 10 18 n°771 année 1973, état général correct, couverture souple tranche et dos moyennement marqués et passés, pages jaunies, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 320 pages.

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