Le Seuil

DUNETON Claude – Le diable sans porte

Réf: rf-scddsp
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Description

Ah mes aïeux !

Extrait

1/   Mes parents m’ont fait en 34, peu e jours après la nuit des longs couteaux – je veux dire cette nuit fameuse où le nouveau chancelier d’Allemagne, qui s’appelait Adolf Hitler, fit assassiner par surprise un certain nombre de personnalités de chez lui. Il avait pris la direction des affaires de son pays l’année précédente avec beaucoup de panache, lais les personnalités en question qui étaient d’ailleurs follement homosexuelles, commençaient à le trouver agaçant, lui, avec se yeux bleus, sa petite moustache et sa grande gueule. Elles avaient décidé de lui faire la peau… Un soir, la chose s’étant ébruitée, elles furent brutalement tirées de leur lit et criblées de balles. C’était le 30 juin 1934, le chancelier put continuer sa jeune carrière avec un succès toujours grandissant, dans l’adoration des foules d’Allemagne.

   Pour historiques que soient ces incidents, je ne pense pas qu’ils aient été pour quelque chose dans la décision de mon père et de ma mère de se faire un enfant. A mon avis c’était plutôt la chaleur… L’été 34 fut particulièrement torride ; au mois de juillet, les forêts s’enflammaient toutes seules et le thermomètre accusa jusqu’à des trente et trente-cinq degrés à l’ombre. C’est dire ce que ça pouvait donner au soleil ! Et mes parents justement étaient au soleil ! Ils faisaient les foins sur nos collines vertes et jaunes, avec deux vaches du Limousin, une faucheuse McCormick d’occasion, des fourches et des râteaux en bois de fabrication artisanale. C’était pénible mais avec le beau temps qu’ils avaient, l’un dans l’autre ils n’avaient pas trop à se plaindre.

 

2/   Un jour elle m’a donné du vinaigre… Elle avait l’habitude de rosir son eau, à table, avec trois goutes de vin. La bouteille lui faisait des quinze à vingt jours. Le vin se piquait lentement sans qu’elle s’en aperçoive – trois gouttes, dans beaucoup d’eau !... Un jour je suis arrivé à fond de bouteille. Elle m’en a versé un plein verre. C’était du vinaigre pur. – Je l’ai bu. J’allais pas la désoler, lui compliquer sa journée, qu’elle soit obligée de goûter, du bout des lèvres, de rien sentir – et puis, si tout de même ! de s’étonner, ah si ! d’être confuse, de tourniquer autour de la table en disant « Quoi en faire… ? ». On n’allait pas le jeter, ce serait dommage ! C’était du bon vinaigre…

   Je l’ai bu, à petites gorgées, sans faire d’histoire – sauf que je lui ai demandé un gâteau sec pour grignoter, en parlant de la nouvelle poste, en face, qu’ils étaient en train de construire. Ce serait commode pour les postières, plus grand, plus neuf – encore que les postières, elles partaient toutes à la retraite alors ! Il n’en resterait bientôt plus une seule !... Que des jeunes, des inconnues…

   J’ai bu mon vinaigre ais je n’en ai pas voulu d’autre. Il en restait un tout petit fond dans la bouteille, elle insistait :

   - Pour ce peu, tu penses ! Tu ne vas pas laisser ce fond !

   - Non, merci, sans façon marainne, je t’assure, merci bien !

   J’avais plus soif du tout. D’ailleurs, il ne faisait pas tellement chaud, malgré la saison. C’est vrai, ce n’était pas vraiment un temps à boire.

   Quand elle est morte, un chien hurlait, dehors, derrière, dans l’étrange paysage… Pourquoi les chiens hurlent à la mort ?

 

3/   Résumé

   Où donc est la reine Astrid qui s’éclata dans un verger ? Où sont les fleurs de ma jeunesse, les lys, le rosier, le Front populaire, les Pâques foraines, mon pépé ? Et Où est André Citroën ?...

   Où sont-ils ceux que je promène sur les sentiers du diable ouvert ? Mon père, ça je le sais, il gît sous dalle de béton ferré – mais où sont les jeux, les rires et les larmes que j’ai versées ? Qui empliraient trois pots de chambre si je les avais pissées ?

   Il y a de riches bébés bourguignons qui m’ont filé leurs petites brassières autrefois, leurs petites laines et tabliers – de quoi me tenir chaud en cet hiver 36, après toutes ces grèves… Qu’est-ce qu’ils sont devenus ces poupons de haute graisse ? Avocats, médecins, ingénieurs, ivrognes ? Je me demande… J’ai porté dans mon âge menu des bavoirs de notaires, des langes de procureurs peut-être, des barbotteuses d’évêques ! Où sont-ils à présent mes bébés bienfaiteurs de basse Bourgogne ? Ont-ils commencé à mourir ?... J’ai bien, moi, du poil aux oreilles et le duvet de mes couilles blanchit. Alors eux ?... Déjà au suaire ? En sont-ils au linceul brodé ?

   Où est Astrid, la souveraine qui s’assomma contre un pommier ? Tata Mâcon, ma marraine, Dreyfus, Hitler, mon pépé ?...

   Mais où sont ces putains de neiges ?

 

Descriptif

Editions Le Seuil année 1981 ISBN 2020058456, Etat général Moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement passés et marqués, intérieur assez frais, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché grand format de 14,6x22,2 cm, 352 pages

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