Denoël

FIECHTER Jean-Jacques - Tiré à part

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Description

Extrait 1

   « Superbe ! Dix minutes sur France-Inter ! Rendez-vous compte ! Autant que pour le Prix Nobel ! Il a fait un malheur ! »

   L’attachée de presse a eu un mot prémonitoire. C’était en effet son malheur que Nicolas avait commencé à faire à la Maison de la Radio, et qu’il allait continuer à tricoter, ce soir, sur Antenne 2, et les jours suivants aussi, sur toutes les ondes, dans tous les journaux.

   Il avait réussi là, au-delà de toutes ses espérances, son seul grand livre, le roman abouti, rêvé, qu’il avait jusqu’alors en vain tenté d’écrire. Lui qui d’ordinaire donnait dans la redondance, l’esbroufe, avait enfin trouvé un ton naturel, précis, des mots justes. Je m’en étais vite rendu compte en lisant les premières pages du manuscrit. Avant que la stupeur, la rage, ne m’étouffent…

   Il fallait chasser ce souvenir et faire le vide dans ma tête, sinon, je ne tiendrais pas le coup.

   Après l’arrêt à la Maison de la Radio où Laurent et moi avions rejoint Nicolas, le chemin de la gloire passait par la maison d’édition. Un cocktail y avait été préparé et attendait le Tout-Paris des Lettres.

   Ce chemin nous l’avons parcouru seuls, Nicolas et moi, dans la voiture de l’attachée de presse. Celle-ci était partie avec Parmentier pour mettre au point avec lui les réjouissances à venir.

   Nous n’avions pas eu de tête-à-tête depuis le jour où il m’avait apporté son manuscrit, et nous avons roulé en silence le long des berges, comme si nous étions gênés de nous retrouver côte à côte. Ni l’un ni l’autre nous n’avions envie de parler. Je connaissais mes raisons. Je m’expliquai moins bien les siennes.

   En tous cas, pour une fois, je ne me suis pas mis en frais, et nous sommes arrivés à la maison d’édition sans avoir échangé un seul mot.

   Nicolas a sauté de la voiture, me laissant le soin de chercher tout seul une place de parking. Ce n’était guère aimable de sa part, d’autant que dans ce quartier les places sont rares. Une demi-heure plus tard je l’ai retrouvé dans les salons de la maison d’édition, cerné par une meute de journalistes. C’est peu de dire qu’on se l’arrachait !

   Je suis resté quelques minutes à l’observer, et il était comme toujours si sûr de lui, si magistral dans sa suffisance que ma résolution d’en finir avec lui au plus vite a redoublé de violence.

 

Extrait 2

   Après l’abandon de la revue, j’allai de plus en plus souvent me réfugier dans les catacombes de Kom el-Chougafa, sur la « colline aux Tessons ». C’était mon repaire.

   Je m’y sentais en sécurité loin de ce monde trop brutal, loin de la guerre qui venait d’éclater en Europe. Le Danemark et la Norvège avaient été envahis, et Hitler poursuivait son plan de conquêtes. Les touristes, inquiets, avaient regagnés leurs pénates, et je régnais en maître sur cet hypogée.

   Au fur et à mesure que je descendais les marches de l’escalier en spirale bordé de niches et de chambres funéraires, j’oubliais mes ennuis et toutes les tristesses qui écrasent la vie. Je ressentais un grand calme dans cette salle des fêtes, avec ses lits taillés dans le roc. Une faible lumière glissait sur les murs, animant les masques de Gorgones, les caducées romains et les obélisques pharaoniques, et m’entraînant dans le passé. Je pouvais rester là des heures à rêvasser, assis sr mon lit de pierre, jusqu’à ce que Mansour, le gafir, vienne m’annoncer l’heure de la fermeture en tapant sur la verrière. Je devais alors faire un effort violent pour m’arracher à mes vagabondages historiques, et remonter jusqu’à mon siècle.

   Sans avoir échangé plus de dix phrases en une année, Mansour et moi étions devenus bons amis. C’était un authentique bédouin qui avait été chassé du désert libyen par l’approche de la guerre, avec toute sa smala, et il vivotait misérablement à Alexandrie, grâce à ce gardiennage. Une fois, il m’avait fait partager rituellement, en seigneur, son thé à la menthe, dans la cabane de planches et de bidons où il était posté en quasi permanence.

   Or, un jour, je ne l’y trouvai point. Etonné, j’allai jusqu’à la tente triangulaire où il logeait sa marmaille, et ce fut une sauvageonne aux pieds nus qui m’y accueillit. Elle avait des yeux gris-vert taillés en amande, et les fins tatouages bleus des tribus bédouines étoilaient son front, son nez et ses hautes pommettes.

   Elle était brune et vive comme les chèvres à demi sauvages de son troupeau, et à peine plus vêtue.

   « Où est Mansour ? lui demandai-je en arabe.

   - Mon père est malade.

   - Que lui est-il arrivé ? Rien de grave, au moins ?

   - Le cœur », chuchota-t-elle en glissant sa main dans son corsage en haillons.

   - Une crise cardiaque ! m’écriai-je.

   - Les deux.

   - Les deux quoi ? Veux-tu être plus claire ?

   - Le cœur et l’âme vagabonde. Son cœur s’est étranglé. Et son âme est malade, aussi.

 

Descriptif

Editions Denoël Collection Sueurs Froides année 1993 ISBN 2207240177, état général moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement marqués et passés, intérieur assez frais, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché grand format de 14,2x20,7 cm, 180 pages

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