Fleuve Noir

PELMAN Brice – Le jardin des morts

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Description

Extraits

1/   Marie ne hurle pas, ne s’arrache pas es ongles, ne se mord pas les poings. Comme Max un instant plus tôt, elle reste médusée. Elle ne saurait expliquer pourquoi elle est si sûre que la femme est morte ; d’abord, parce que c’est la première morte qu’elle voit et ensuite, parce que la femme est très belle, très bien conservée. On dirait la Princesse au Bois dormant. Enfin, non, pas tout à fait. La Princesse au Bois dormant était extrêmement correcte dans ses vêtements de brocard. Celle-là, même dans la mort, semble éprouver le besoin de séduire – pire, de provoquer ! Ses membres écartés sont semblables aux quatre branches de la rose des vents et son sexe est comme une blessure ouverte dans les boucles noires de son pubis. A l’exception d’un triangle sur le bas-ventre, la peau est cuivrée, mais sans éclat, c’est certainement la mort qui lui a retiré son lustre.

   - Fichons le camp, répète Max.

   Mais Marie ne se résout pas encoure à le suivre. La fascination, c’est ça, cette incapacité à se mouvoir, à parler, à détourner les yeux d’une chose très belle ou mystérieuse ou épouvantable, ou tout à la fois. La femme impudique a de longs cheveux noirs éparpillés sur le sol comme des algues rameuses. Ses paupières closes portent encore la trace d’un maquillage bleu aux reflets argentés et si les lèvres charnues sont blanches maintenant, on les imagine aisément rouges comme des bigarreaux.

   - Quel âge tu lui donnes ? demande Marie.

   Max hausse les épaules. La question lui paraît saugrenue. Et puis il n’a jamais su évaluer l’âge des gens. Qu’est-ce qu’elle en a à faire, Marie, de toute façon ?

   - Allez viens, dit-il en lui saisissant le poignet.

   Mais, de nouveau, elle se libère. Non seulement ce cadavre la fascine, mais il lui semble qu’à force de l’examiner, elle finira par lui arracher son secret. Cette femme, pense-t-elle, n’est pas morte sur place. On jurerait qu’on l’a déversée là comme un sac d’immondices. Ces bras, ces jambes écartées, n’ont pas une position naturelle. Si quelqu’un l’avait transportée sur son épaule pour s’en décharger dans cette cuisine, c’est ainsi qu’elle serait tombée, un peu comme une poupée désarticulée. Et aussi, pourquoi est-elle nue ? Sûrement elle ne s’est pas déshabillée toute seule. Quelqu’un l’a fait pour elle, sans doute afin de faire disparaître des pièces compromettantes, de retarder son identification… Ou un vicieux, peut-être bien ? Un type qui l’aurait violée ? Avant ou après sa mort ?

 

2/   - Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? murmure Marie.

   Elle, toujours si nette, est couverte de boue des pieds à la tête. Elle ne sait par quel miracle elle tient encore à la main son unique chaussure. Question propreté, Max ne vaut guère mieux qu’elle. Toujours est-il qu’ils sont parvenue à déjouer l’attention du nabot. Les voilà maintenant dissimulés derrière cette chapelle funéraire en forme de pâtisserie. De là, ils peuvent gagner la sortie principale du cimetière en restant à couvert des sépultures.

   - Viens, suis-moi, dit Max. Reste courbée…

   Elle lui emboîte le pas. Deux Indiens sur le sentier de la guerre. Ils vont gagner la partie. Marie songe déjà aux explications qu’elle aura à fournir à sa mère et à Bébelle sur la saleté de ses vêtements, la perte de sa chaussure, l’heure tardive de son retour… Heureusement, elle invente bien, elle ment avec aisance – presque une seconde nature ; bien obligée quand on est l’objet d’une surveillance constante.

   Pour sa part, Max est encore tout à ce qu’il fait. Il ne se sentira à l’abri qu’une fois rentré chez lui. Sans doute aura-t-il lui aussi à se justifier – il espère qu’il aura eu le temps de se laver et de se changer avant le retour de Papa Jacques ; sinon, il avisera.

   Plus que deux ou trois bonds à faire avant d’atteindre la grille du cimetière. Personne en vue, silence complet ; même les oiseaux se taisent, la nuit est tombée. Sur la place du monastère, les lampadaires sont allumés. Max se tourne vers Marie.

   - Ça va ?

   De la tête, elle fait oui, oui. En vérité, elle se sent à bout de forces, vidée, creuse comme un pipeau. Depuis le matin qu’ils errent, qu’ils affrontent les pires situations, qu’ils jouent de leurs nerfs et de leurs muscles, elle traîne les pieds.

   - Tout va bien, dit Max. Y a personne…

   Il lui prend la main et il l’entraîne en courant. Comme ils traversent la place en direction des arènes, un homme sort d’une cabine téléphonique. Ils le reconnaîtraient entre mille, ce type : le coéquipier du nabot, celui-là même qu’ils redoutent le plus. Tout à sa pensée, il est. Si Max et Marie ne faisaient pas tant de raffut en courant, il ne lèverait même pas la tête. Mais voilà, dans le silence du quartier, le bruit de leur galopade ne passe pas inaperçu et Basdevant les voit. Et Basdevant les reconnaît aussitôt.

   Bon Dieu !

 

Descriptif

Editions Fleuve Noir Spécial Police 1941 année 1985 ISBN 226502970X, état général moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement marqués et passés, intérieur passé, tranches des pages un peu salies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 192 pages

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