Extrait
1/ Il avait quitté l’immeuble pour se retrouver dans la rue vide engluée par la nuit tombante. Le silence au-dehors, le vacarme au-dedans. Même le vent qui se taisait presque complètement ! et même les bruits noirs de la respiration de la ville éparpillée, loin, partout, qui perdaient de leur sourde intensité, s’écrasaient, comme si le poids des nues roulantes chargées de nocturnes et gras remous… Mais comment les rues de ce quartier du secteur pouvaient-elles être à ce point désertées, désamorcées, de jour comme de nuit ? Il s’y baladait depuis un certain temps, déjà, et rencontrait toujours le même… paysage ? décor ? La même ambiance hivernale au cœur de mai. Il y a des quartiers qui donnent l’impression de mourir à longueur de temps, depuis toujours et pour toujours, et ça ne sera jamais fini, jamais guéri, on ara beau y faire tout ce qu’il est possible… Zien s’était retrouvé là, le froid sur les épaules, et en lui, engouffré tandis qu’il respirait. Il avait posé un pied devant l’autre, et encore, et encore.
C’est ainsi qu’on avance et que la nuit vous pousse, que des bruits vous aspirent, vous rejettent. Que des ombres vous frôlent. C’est ainsi qu’on traverse des rues, des places, des endroits chargés de lumières, avec des voitures qui roulent, des passants qui marchent, seuls, en couples, en groupes, et qui se hâtent engoncés dans leur silence pressé, ou bien qui parlent haut, qui font les fous. Puis d’autres rues aimantées vous attirent et vous séduisent de toute leur noirceur, après tant que clinquant. On y plonge. On s’y jette.
2/ Il s’appelait Bert Nandy, c’est-à-dire Albert, mais tout le monde préférait Bert ; quand il donnait son nom, lui-même disait Bert. Il travaillait pour Diex, à T.V. DIRECT, et il aimait ça. C’était un boulot excitant. Chaque fois que l’occasion lui en était donnée, il ne se gênait pas de le crier sur les toits, ou de le dire, tout simplement : bosser pour T.V. DIRECT était excitant, pour Diex d’autant plus, sans blague.
Il avait la vie belle, à son avis.
De quoi se payer un certain nombre de DI.PR.EV.
Tous les cinq ans s’il l’avait voulu. Mais ça ne l’intéressait pas. Il s’en était offert (façon de parler) quelques-uns pendant son adolescence et cela avait donné soixante ans à vivre en parfaite santé. Jusqu’à présent, il n’avait pas envie de changer le pronostic, ni d’aller voir si les choses avaient évolué, si les potentialités s’étaient modifiées. Pas la peine. Il roulait bien comme il roulait. Bert Nandy le répétait fréquemment : je roule bien comme je roule.
Il avait pris en filature ce type dans sa voiture de service public anti-feu, à la sortie du restaurant, aux alentours de vingt-trois heures. Un nommé Zien Doors. Une histoire de natural killer, avait dit Diex. La préparation d’un reportage sur ce sujet. C’était fumant. Il n’y avait pas plus hermétique que ce milieu, tout le monde savait ça. Au point que, même, se disait Bert Nandy, si on soulève un sujet en or ça m’étonnerait qu’on puisse exploiter télégéniquement, ça m’étonnerait, ça m’étonnerait. Mais puisque Diex avait lancé l’affaire… Que cette enquête donne ou non des résultats concrets – c’est-à-dire une diffusion sur les écrans, c’était très excitant d’y participer.
3/ Résumé
Comment vivre quand on connaît à l’avance la date de sa mort ?
Quand l’Etat, dès votre naissance, vous a généreusement établi votre DI.PR.EV., votre diagnopronostic d’espérance de vie ?
Faut-il, à l’approche de la date fatale, louer les services d’un tueur, qui vous abattra sans vous laisser le temps d’avoir peur ?
Faut-il refuser d’y croire et tenter de s’accrocher à la vie ?
Mais si la maladie s’annonce comme prévu et s’aggrave de jour en jour ?
Ou si chaque ombre que l’on croise peut être celle du bourreau ?
Descriptif
Editions Denoël Présence du futur 339 année 1982 ISBN 220730339X, Assez Bon Etat général, couverture souple cornée en bas à droite et un peu salie, tranche et dos très légèrement passés et marqués, intérieur assez frais, tranches des pages un peu salies, livre broché d’occasion format poche de 10,8x17,8 cm, 220 pages
