PRADEAU Christophe – La Grande Sauvagerie

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Description

Extraits

1/   Je n’ai longtemps rien su du village décrit dans les guides touristiques. Les visiteurs lisaient sur les façades de nos maisons des histoires qui ne m’étaient pas destinées, pas même indéchiffrable, invisibles. J’avais beau singer leurs attitudes du mieux que je le pouvais, je ne voyais que mousses et lichens là où s’attachaient leurs regards. A dire vrai, bien des années passèrent avant que je ne m’en inquiète, tellement ces silhouettes qui, à peine leur entrée faite, quittaient la scène pour disparaitre dans les coulisses, participaient à mes yeux d’une autre espèce, plus fragile, plus incertaine que la nôtre. Il y avait d’eux à nous une différence plus profonde que celle qui affronte nomades et sédentaires, ils vivaient dans un temps inconcevable où toute chose n’advient qu’une fois. Du moins, dans mon innocence, me figurais-je leur vie ainsi, moi qui renfrognais le monde aux dimensions du village qui était le mien, dont jamais je ne ‘éloignais suffisamment pour perdre de vue la lanterne qui le sommait et le désignait à l’attention universelle, index géant de je ne sais quelle divinité, Némésis accroupie, penchée tout là-haut, loin au-dessus de nous, invisible derrière ses ailes repliées, dissimulée dans les nuages d’orage ou retirée, énigmatique, souriante et féroce, dans le puits de noirceur résiduelle qui couronne les ciels les plus intensément, les plus miraculeusement bleus. Au moment où je trace ces mots, près d’un demi-siècle plus tard, de retour à Saint-Léonard après quarante ans d’errance, confortablement installée face à l’obscurité du parc, la fenêtre grande ouverte, le corps encastré dans la munificence irradiante, intrusive, d’une glycine deux fois centenaire, baignée dans une minuit de suavité irréelle, comme je n’en avais plus connue de pareille depuis l’âge des premiers rendez-vous, alors que ma main droite, seule pénétrée par la chaleur de la lampe, à l’abri dans l’étroit cercle de lumière, va et vient sur la page, sans fatigue, pendant que Tiana Lemnitz dit et redit derrière moi la Chanson du saule, dans un allemand d’une douceur si étrange, si onirique, qu’on ne peut qu’entendre en lui la voix même de Desdémone, une voix tenue au plus près du silence, comme près de s’éteindre, mais portée par un souffle inépuisable, soutenue par la poussée dynamique de mers intérieures, hantée par la luminescence laiteuse du krill, je m’aperçois, tandis que la voix de celle que l’on surnomma Piana Lemnitz entonne comme l’on murmure l’Ave Maria de Desdémone, que c’est précisément cela : l’énigme d’un temps dans lendemain, que je m’efforçais de percer…

 

2/   Résumé

   La Grande Sauvagerie, c’est le nom que les coureurs de bois du canada français ont donné à ce qui s’est appelé, en d’autres temps et d’autres lieux, The Wild : l’espace inviolé, le blanc sur la carte. L’expression s’est perdue et ne parle plus guère à personne.

   La Grande Sauvagerie, c’est aussi un lieu-dit, un rocher qui domine un coin de la campagne limousine. Les guides touristiques le signalent à l’attention pour sa lanterne des morts, une simple tour de granit, sans grâce.

   Les habitants du pays ont oublié depuis longtemps qu’un feu y brûlait jadis, qui guidait les voyageurs dans la nuit.

   Thérèse Gandalonie a grandi à Saint-Léonard, à l’ombre de la lanterne des morts. Puis elle s’en est allée. Elle a traversé l’océan. Elle a découvert, dans les bibliothèques américaines le Journal inédit de Jean-François, peintre d’ex-voto établi à Montréal, cousin à la mode de Bretagne du Grand Rameau. Elle a copris en le lisant que les deux Grandes Sauvageries renvoyaient l’une à l’autre.

   Quand elle s’en retournera, elle saura désormais apercevoir, infusée dans le paysage, une histoire oubliée de tous.

   Elle la déchiffre pour nous. C’est sa voix que nous entendons, une voix rocailleuse traversé par le vol des lucioles.

 

Descriptif

Editions Verdier de 2009 ISBN 9782864326014, Très Bon Etat général, couverture souple, tranche et dos légèrement passés et marqués, intérieur assez frais, tranches des pages un peu salies, livre d’occasion broché grand format de 14,2x22,2 cm, 160 pages

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