Titre original « The girls » Emma Cline, 2016

Traduit de l’américain par Jean ESCH

Extrait

1/   Ma mère parlait de Tamar, l’assistante que mon père avait engagée pour sa dernière entreprise en date. Une histoire de change. Il s’agissait d’acheter des monnaies étrangères et de les revendre, puis de les racheter et ainsi de suite, suffisamment de fois pour se retrouver, affirmée mon père, avec un joli bénéfice, grâce à un tour de passe-passe à grande échelle. D’où les cassettes de méthodes de langues dans sa voiture : il essayait de monter une combine avec des francs et des lires.

   Tamar et lui vivaient alors ensemble à Palo Alto. Je l’avais vue seulement deux fois ; elle était venue me chercher au collège un jour, avant le divorce. Elle m’avait fait signe paresseusement au volant de sa Plymouth Fury. Agée d’une vingtaine d’années, mince et enjouée, Tamar parlait sans cesse de ses projets de week-end, d’un appartement qu’elle aurait voulu plus grand ; sa vie était structurée d’une façon qui m’était étrangère. Ses cheveux paraissaient presque gris à force d’être blonds et elle ne les attachait pas, contrairement à ma mère avec ses boucles fluides. Je posais sur les femmes un jugement brutal et froid, à cette époque. J’évaluais l’inclinaison de leurs seins, je les imaginais dans diverses positions obscènes. Tamar était très mignonne. Elle releva ses cheveux avec une pince en plastique et se dévissa le cou pour me sourire en conduisant.

   « Tu veux un chewing-gum ? »

   Je sortis deux tablettes poussiéreuses de leur emballage argenté. Assise à côté de Tamar, les cuisses glissant sur le siège en vinyle, j’éprouvais un sentiment proche de l’amour. Seules les filles peuvent s’accorder une véritable attention mutuelle, du genre qu’on assimile au fait d’être aimée. Elles remarquent ce qu’on veut faire remarquer. Ce que je fis pour Tamar ; je réagis à ses symboles, à sa coiffure, à ses vêtements et à l’odeur de son parfum. L’Air du Temps, comme s’il s’agissait de données importantes, de signes qui reflétaient quelque chose de son être intérieur. Je prenais sa beauté à cœur.

2/   Je compris qu’il était en train d’insulter mon père.

   « C’est que ça paraît curieux, dit-il, en s’essuyant les lèvres avec le dos de la main, que ta mère accepte tout ça. »

   Je devais avoir un air inexpressif : il agita les doigts en direction de Tamar, toujours au bar. Mon père l’avait rejointe. Ma mère était introuvable. Les bracelets de Tamar tintaient quand elle remuait son verre. Mon père et elle se contentaient de parler. Il ne se passait rien. Je ne comprenais pas pourquoi son petit copain affichait ce sourire féroce, en attendant que je dise quelque chose.

   « Ton père baise tout ce qu’il peut, dit-il.

   - Je peux prendre votre assiette ? » demandai-je trop abasourdie pour tressaillir. C’était une chose que m’avait apprise ma mère : revenir à la politesse. Couper court à la douleur avec un geste de courtoisie. Comme Jackie Kennedy. C’était une qualité pour les gens de sa génération, cette capacité à détourner la gêne, à l’étouffer sous la bonne éducation. Mais elle était démodée désormais et je vis quelque chose qui ressemblait à du mépris quand il me tendit son assiette. A moins que ce ne soit mon imagination

3/   Résumé

   Californie, fin des années 1960. Evie Boyd, quatorze ans, vit seule avec sa mère. Lorsqu’elle se dispute avec sa seule amie, Evie se tourne vers un groupe de filles dont la liberté et l’atmosphère d’abandon qui les entoure la fascinent. Séduite pas l’aînée, Suzanne, elle se laisse entraîner dans une secte au leader charismatique, Russell. Leur ranch est aussi étrange que délabré, mais aux yeux de l’adolescente, il est exotique, électrique, et elle veut à tout prix s’intégrer. Son obsession pour Suzanne grandissant, Evie ne s’aperçoit pas qu’elle s’approche inéluctablement d’une violence impensable.

Descriptif

Editions 10/18 5230 année 2017 ISBN 9782264066336, bon état général, couverture souple, tranche et dos légèrement marqués et passés, intérieur frais, tranches des pages un peu salies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 360 pages