Ferenczi

MAURIAC François – La robe prétexte

Réf: rc-flmi108
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Description

Illustrations de Gaston FOUBERT

Extrait

1/   La porte s’ouvrit brusquement, et je poussai un cri. Camille était devant moi, petite forme blanche. Des mèches rebelles couvraient ses yeux. Sa bouche un peu épaisse remuait toujours comme si elle eût sucé un éternel bonbon. Je l’appelais, dans le secret de mon cœur, la chèvre de M. Seguin. Mais la plus élémentaire prudence m’empêchait de lui appliquer ouvertement ce surnom injurieux.

   - Qu’est-ce qu’il t’a porté, le petit zanze ? dit-elle en imitant le zézaiement dont j’étais affligé.

   - Ouvre les paquets, lui répondis-je.

   Et j’ajoutai, avec un geste de grand seigneur :

   - Tu peux garder ce qui te convient.

   J’avais ma dignité. Il importait de lui abandonner avec bonne grâce tout ce que je savais d’avance qu’elle aurait pris sans me consulter. Trainant les pieds afin de ne pas s’entraver dans la longue chemise, Camille aussitôt fit l’inventaire :

   - Voici deux pétards pour toi, dit-elle en me jetant les bonbons enveloppés de ces papiers dorés qui contiennent une amorce.

   Elle retira ensuite un sabot de sucre rose et déjà le tendais la main, lorsqu’avec audace Camille décréta qu’il ferait très bien sur sa cheminée. Puis elle me donna un cadre ovale où je reconnu la photographie de ma mère, morte au temps de ma sixième année.

   Les paupières un peu tombantes donnaient à ce visage une impression d’infinie lassitude, et le regard semblait se perdre au-delà de la vie. Un nœud de tulle blanc retenait le col de velours ; alors, dans l’immense étendue de brume qu’était mon passé, je voulus évoquer le visage de la morte, désespéré de n’y voir que ses gestes, son attitude toujours frileuse, les mains tendues en écran devant le feu, l’abandon de tout son être pendant la messe…

 

2/   Un peu de brume enveloppait la cathédrale, mouillant les trottoirs comme s’il avait plu, bien qu’au-dessus de nous, il y eût toutes les étoiles. La rue me semblait vide, cette rue où le lendemain matin, je courrais vers mes petites misères quotidiennes d’écolier ? Le brouillard devait s’épaissir sur le fleuve : nous entendions d’incessantes appels de sirènes, les mêmes qui emplissaient autrefois de désolation mes nuits sans sommeil…

   L’abbé de Maysonnave me parlait de sujet indifférent, mais je sentais bien qu’il voulait lire dans mon âme de ce soir-là. Un enfant élevé par des prêtres, connaît ces manœuvres. Je ne les redoutais pas. Docile proie, j’aimais me laisser prendre, quitte à glisser entre les mains du pêcheur d’hommes. Les sentiments qui me bouleversaient et dont j’ignorais qu’ils étaient une souffrance ou une joie, lui seul m’aiderait, me disais-je, à les définir.

   - J’ai quinze ans, monsieur l’abbé, et je vois pour la première fois les rues de la ville à cette heure tardive. Ne suis-je pas comme une petite fille ?

   Il saisit doucement mon bras :

   - Ne regrettez pas, mon petit, votre enfance préservée. Vous ne le savez pas encore, mais vous le reconnaitrez un jour : c’est un trésor que vous amassez, toutes ces claires journées ! Plus tard, aux heures de lassitude, vous retournerez la tête et le trésor luira dans l’ombre. Que de fois il m’a secouru alors que je perdais le cœur…

 

Descriptif

Editions Ferenczi Le livre moderne illustré 108 année, Etat général Moyen, couverture souple, tranche et dos moyennement passés et marqués, pages jaunies, tranches des pages moyennement salies, livre d’occasion broché grand format de 14,7x20,7 cm, 164 pages

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