Extrait
 
   - C’est-il une tenue pour des chrétiennes ?
   Son regard allait de l’une à l’autre des molles statues blanchâtres, étendues sur les banquettes à dossier, couvertes de coussins, qui se faisaient face, entre les fenêtres.
   - Il fait chaud, Toinette, gémit l’une.
   - Si vous deviez travailler aux champs, comme les paysannes, adopteriez-vous la tenue de notre mère Eve ?
   Car les deux demoiselles n’avaient conservé que leur chemise de toile serrée, qui leur découvrait un généreux décolleté, les avant-bras et la moitié des mollets.
   - Ta supposition est impudente à force d’incongruité, fit observer l’autre jeune fille avec dédain.
    - Mademoiselle Benoîte, usez tant que vous voudrez de votre galimatias, je vais vous quérir une robe.
   - Oh, fit l’autre, la bête brute qui ne peut nous laisser en paix ! Tais-toi et ravaude, balourde.
   - Et puis, poursuivit la servante sans se démonter, n’avez-vous donc rien à faire que ruminer comme des génisses affalées dans la paille de l’étable ?
   - C’est à n’y plus tenir ! s’écria Benoîte de Ferney en se dressant sur un coude. Conçoit-on pareille insolence ? Veux-tu un bon soufflet sur ta face de maraude ?
   - Frottez-vous-y, à mon museau conseilla Toinette.
   Posant sa corbeille sur une banquette d’embrasure, elle campa sa haute stature hommasse à contre-jour. Une fois, Justine, la cadette, s’était enhardie à la frapper ; la servante l’avait saisie, calée sous son bras et lui avait bleui le bas des reins pour huit jours. M. de Ferney avait tempêté, menacé des pires châtiments, mais sans s’attaquer à la maîtresse femme, trop vigoureuse pour ses soixante-dix ans, autrement qu’en parole.

Editions Le Cercle romanesque Librairie Jules Tallandier année 1974, état général correct, couverture rigide, tranche et dos un peu passés et marqués, pages jaunies, livre relié moyen format de 12,6x18,3 cm, 224 pages