Extrait

   Le gendarme Triboux se dressa sur sa couche et regarda l’heure au cadran lumineux de sa montre. Il allait être 1 heure et demie.

   Triboux était couché tout habillé. Il se mit sur pied, serra les lacets de ses leggins, puis boucla son ceinturon. Cela fait, il ouvrit doucement la porte et sortit.

   Une semaine s’était écoulée depuis le drame du château de Chaumigny et c’était la seconde fois que le gendarme prenait la garde dans la petite remise attenante à la loge des époux Hauchecorne, où avait été dressé un lit de camp.

   A vrai dire, nul ne croyait plus à l’utilité de ces gardes. Le comte de Moncelles lui-même avait acquis la triste certitude que Le Repos de Bacchus n’était plus dans ses murs. Pourquoi alors un complice de Bras Roulés se serait-il introduit dans la propriété ?

   Aussi c’était sans la moindre conviction que Triboux faisait ses rondes réglementaires. Sans conviction, mais non sans conscience, car le gendarme ex-sergent de l’armée coloniale, était le devoir fait homme.

   Frissonnant un peu car la température était basse, Triboux avança à grands pas. Après avoir longé la façade du château, il tourna et se dirigea vers l’arrière du parc.

   Rien, pas même le cri de quelque oiseau nocturne ne troublait le silence. La lune était dans son premier quartier et, en dépit des nombreux nuages courant au ciel, la nuit demeurait claire. La Loire coulait rapide, passant presque sans transition d’une blancheur d’argent à un gris plombé, couleur cendre. Elle semblait alors coulée de boue. De place en place, rompant la monotonie de la terre nue, quelques grands arbres dépouillés se découpaient, précis et noirs, comme les dessins japonais.

   Bientôt parvenu à l’extrémité du parc, Triboux s’arrêta et se prit à admirer le paysage. Il pensa qu’à bien des lieues à la ronde nul autre que lui ne devait être debout, que ses semblables dormaient au chaud dans leurs lits. Mais cette réflexion n’éveilla point l’envie dans son âme, au contraire. Le sentiment de solitude faisait naître dans l’esprit du gendarme un source d’idées nouvelles et jusqu’alors insoupçonnées. Il découvrit la philosophie.

Descriptif

Editions Librairie des Champs-Elysées Le Masque 252 de 1983 ISBN 2702414699, état général correct, couverture souple, tranche et dos un peu passés, marqués et décolorés, pages jaunies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 160 pages