Fayard

MAGNAN Pierre – Le sang des Atrides

Réf: pt-fqo78
1,50 € TTC
 Hors stock
Ajouter au panier
Description

Extrait 1

   « Il était beau comme un jeune dieu ! dit pensivement le juge Chabrand.

   - Voulez-vous entendre que cette beauté peut avoir quelque rapport avec le meurtre ?

   - D’une manière ou d’une autre comment pourrait-il en être autrement ?

   - Les maris de Digne ne tueraient pas. Ils divorceraient à petit bruit ou ils passeraient l’éponge, comme tant d’autres dans d’autres régions.

   - Il n’est pas dit que le meurtrier soit de Digne.

   - J’ai dt « d’autres régions ».

   - Je vous l’accorde.

   Le juge et le commissaire, dans le bureau du Palais examinaient la maigre récolte de renseignements fournis par l’enquête.

   Ils avaient en commun d’être à Digne par mesure administrative. Le commissaire pour avoir donné le surnom de « Tante Louise » à un homme politique important qui ne l’aimait pas ; le juge parce qu’il était « sournoisement gauchiste ». C’était un de ses professeurs de faculté qui l’avait ainsi qualifié. On avait essayé par tous les moyens d’empêcher qu’il accédât à un titre quelconque. Mais J.-P. Chabrand avait une mémoire extraordinaire, un pouvoir de travail colossal et la plus lumineuse intelligence de toute sa promotion, quand il oubliait d’être gauchiste. On ne lui avait épargné aucun traquenard. Il avait triomphé de tous en se jouant : apprenant l’albanais pendant qu’il préparait son concours et commerçant même, sous forme de défi, l’ouvrage qui serait la somme de sa vie : « Réfutation de Marx à la lumière de l’expérience albanaise. »

   Du moins avait-on pu obtenir que ce brûlot ne sévît qu’à Digne. Dans l’esprit de ses pairs, vivre à Digne, pour un Chabrand, c’était comme vivre à l’île d’Elbe pour un Bonaparte.

   La même erreur d’optique avait guidé le choix du préfet outragé pour le commissaire Laviolette. Les grands ne peuvent imaginer que des punitions qui, appliquées à eux-mêmes, leur paraîtraient atroces.

   Quoique de générations différentes, le juge Chabrand et le commissaire connaissaient trop bien le monde pour ne pas sentir ostensiblement la pointe du mal qu’on leur faisait. Ils ne perdaient aucune occasion de déplorer en public l’injustice qui les maintenait en un lieu si peu propice à l’épanouissement de leur talent, ni d’exprimer leur espoir d’une mutation prochaine que, d’ailleurs, ils se gardaient bien de briguer par un changement quelconque de leur attitude passée. Mais cette précaution oratoire, en écartant les soupçons, leur promettait la certitude d’être oubliés à Digne pour l’éternité administrative que limite la retraite.

 

Extrait 2  

   « Allo ! Laviolette ? Allo ! Ici Honnoraty ! Casimir Honnoraty ! Conseiller d’Etat ! Allo§ C’est vous Laviolette ?

   Ce conseiller tonitruant gueulait tant qu’il pouvait dans l’appareil, appuyant sans vergogne sur la dernière syllabe de son nom. Celui-ci n’avait pas pris l’accent pointu. Sa voix évoquait le marchand de mulets de Seyne-le-Alpes, ce qu’était encore son grand-père. Habitué aux vastes espaces où l’on hèle le bétail sous la tempête et où l’on balaie tous les obstacles d’un revers de manche, il répétait ses « Allo ! » et ses « ça vous ferait plaisir ? » jusqu’à plus soif. Dès qu’il put placer un mot, Laviolette répondit. » Non ! » le plus congrûment du monde.

   Il croyait suivre, dans cette tête puissante, tout l’éventail de conjectures que ce « non » faisait naître chez le conseiller. Il n’avait pas l’habitude qu’on lui résiste. Il n’avait pas l’habitude non plus de voir quelqu’un refuser n’importe quel honneur, fût-il très périlleux. Ce « non » ne cadrait pas avec sa sommaire connaissance des hommes, très suffisante pourtant dans la haute position qu’il occupait. Il observa quelques secondes de silence avant d’énoncer :

   « Et si je vous le demandais en frère ?

   Il n’avait pas appuyé sur le mot. Il avait prononcé la phrase tout uniment.

   « Dans ce cas… » dit Laviolette.

   Et il raccrocha.

   « Que les frangins aillent se faire…

   - Pardon, chef ?

   C’était Courtois qui apportait un dossier au patron.

   « Non, rien, dit Laviolette. Je soupirais. »

   Il soupira bien plus fort le surlendemain.

   « Chef ! Une convocation du préfet ! »

   Les cheveux de l’agent Mistigri se hérissaient sur sa tête. Il n’aurait pas voulu, pour un empire, être à la place du patron. Vous pensez ! Une convocation du préfet ! Et par voie d’estafette ! Et pour tout de suite ! ça allait chauffer cinq minutes pour le patron !

   « Bon ! » dit Laviolette.

   Il enfila son pardessus, mit son chapeau, s’enveloppa de son vaste cache-col et vogue la galère ! A pied, par des ruelles, il se dirigea vers la préfecture, sa convocation à la main.

   Jusqu’à l’huissier qui le reçut et auquel il remit son papier avec un salut économique d’un seul doigt au bord de son couvre-chef, tous ceux qui lui dirent bonjour ce matin-là le firent avec des regards fuyants, comme s’il venait de perdre son emploi et allait leur en demander un.

 

 

Descriptif

Editions Fayard année 1977 Prix Quai des Orfèvres 1978, état général moyen, couverture souple, tranche et dos marqués et passés, pages jaunies, livre d’occasion broché format poche de 11,2x17,8 cm, 224 pages   

Produits pouvant vous intéresser