Titre original « As Esganadas » Jô Soares, 2011

Traduit du brésilien par François Rosso

Extrait 1

   Le commissaire Mello Noronha est un homme pratique. Pour contourner la circulation intense du vendredi en fin d’après-midi sans éveiller la curiosité naturelle pour les va-et-vient des voitures de police, il a décidé d’utiliser, en lieu et place d’un véhicule officiel avec sirène, une ambulance réquisitionnée auprès du poste de premiers secours le plus proche. Celle-ci a été mise à la disposition du commissariat, et c’est dans ce long véhicule blanc, conduit par le taciturne Calixto, que Tobias Esteves et lui se rendent au funérarium. Ce n’est pas une coïncidence si l’organisation des funérailles a été confiée à la firme Styx : après tout, c’est la plus prestigieuse de la ville, et les familles des victimes sont assez fortunées pour offrir à leurs défuntes ce qui se fait de plus chic en matière de veillée funèbre et d’obsèques. Noronha montre à Tobias la brochure publicitaire distribuée par l’entreprise.

   Esteves feuillette avec fascination le fascicule, qui présente toutes sortes de cercueils, depuis les plus modestes, en pin ordinaire, jusqu’aux plus beaux, en bois noble. Les détails abondent sur les ferrures et le capitonnage. Les modèles les plus coûteux sont équipés de poignées dorées à la feuille et de rembourrages en satin. Les pompes funèbres Styx possèdent dans leurs dépendances deux salons pour les cérémonies, décorés dans le style baroque, avec des plafonds ornés d’images célestes ou volètent des angelots. Et aussi une chapelle œcuménique, un atelier floral, un restaurant, un salon de thé, une boutique de souvenirs. Elles proposent de surcroît un soutien psychologique et la présence de prêtres de diverses confessions.

   « C’est presque une invitation au suicide, ironise Mello Noronha. Les enterrements vont attirer beaucoup de monde et du meilleur ! »

   - On ne sait jamais, commissaire, rétorque Esteves. Comme on dit au Portugal : « Si riche et charitable que tu aies été dans ta vie, l’assistance à tes funérailles dépendra du temps qu’il fera. »

   Une longue pause. Puis Calixto brise le silence, parlant d’un ton méditatif :

   - Moi, j’aime mieux une veillée funèbre de riche qu’un mariage de pauvre.

Extrait 2

   « Pardonnez-nous de vous déranger, madame. Je suis le commissaire principal Mello Noronha et voici mon équipe, dit-il en désignant les autres. Nous enquêtons sur l’assassinat de votre amie Malgorzata Tolowski. »

   Les paroles de la pauvre femme sortent de sa bouche dans un gargouillement agonisant.

   « Pauvre Malgy… Elle avait tant voulu venir au Brésil… Et pour finir comme ça… Pour mourir assassinée… Et moi aussi… Moi aussi, je meurs… Elle aimait beaucoup les Paczki… Elle en mangeait beaucoup, des Paczi… des beignets polonais… »

   Quand elle découvre Calixto, les restes d’un souvenir éclairent soudain son visage. Elle désigne l’inspecteur de son doigt maigre et courbé, et, rassemblant ses dernières forces, laisse échapper un cri qui vient du plus profond de son être :

   « Monsieur Bonnes-Manières ! »

   Et la polonaise Bogdana Malkowa rend le dernier soupir, un sourire heureux sur les lèvres.

   Les trois autres tournent le regard vers Calixto, qui, d’un geste tendre, s’agenouille à côté de la valeureuse guerrière du bidet et lui ferme les yeux.

   Evitant tout commentaire sur cet incident tragi-comique, Mello Noronha conclut :

   « Nous n’avons plus rien à faire ici. Calixto, appelez l’institut médico-légal par la radio de la voiture et dites qu’on vienne recueillir le corps. Vous resterez ici pour veiller la morte jusqu’à ce que le fourgon arrive. Ensuite, attendez-moi au Central. Nous, nous allons faire un tour au domicile de la victime. Nous verrons si nous trouvons quelque chose qui nous aidera à éclaircir cette épouvantable affaire. »

Descriptif

Editions des Deux Terres année 2013 ISBN 9782848931326, bon état général, couverture souple, tranche et dos un peu marqués et passés, page un peu jaunies, livre d’occasion broché grand format de 15,7x24,2 cm, 254 pages