CORNAILLE Didier – La muse dans le grenier

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Description

Extrait 1

   Je restai longtemps ainsi immobile, bien calé dans mon siège, les mains à plat sur le volant, mais ne parvenant pas à me décider à tourner la clef de contact.

   J’avais la sensation confuse de quelque chose d’énorme et de menaçant s’accumulant devant moi. Ces deux jours à passer pris dans le faisceau convergent de l’autorité de ma sœur, des bavardages insipides de mon beau-frère et de la sollicitude inquiète de ma mère me semblaient une épreuve au-dessus de mes forces. L’absence de Florence et des enfants me laissait seul face à ce qui ressemblait fort à une accusation. J’étais bien sûr coupable de n’avoir pas su les amener. Du moins me faisais-je cette impression.

   Bêtement, le silence de mon portable m’apparaissait plus grave que les coupures d’électricité et de téléphone dont je redoutais pourtant qu’elles ne nous rendent la vie plus insupportable encore. J’avais oublié que l’on peut exister hors la présence de toutes ces petites commodités.

   Jusqu’à l’accent un peu rauque qu’avait mis Odile dans sa voix, au moment où nous nous séparions, devant chez elle, pour me dire « Viens me voir quand tu veux, à n’importe quelle heure. Je serais heureuse de te recevoir. », qui me mettait mal à l’aise. En quelques mots, elle avait évoqué tant d’émois possibles, de tous ordres, tant de rapports au passé que de plaisirs à nous retrouver que je m’en sentais totalement submergé et comme intimidé.

   Je suis ainsi. Combien de fois Florence me l’a reproché ! Je bats en retraite dès qu’il me faut m’impliquer. Timidité, peur de ne pas être à la hauteur ? Appelez ça comme vous le voulez, ça m’est égal comme m’est égal le jugement que peuvent porter les autres sur moi, tant que je n’ai pas à craindre de devoir le lire dans leur regard.

   Or, il n’était pas besoin d’être grand clerc pour deviner que ces deux jours allaient être d’une désespérante complication. Ni Florence ni surtout les enfants ne pourraient faire écran entre les autres et moi. J’étais pourtant passé maître dans l’art de m’abstraire dans leur ombre. Qu’il était facile, quand ils étaient là, de m’effacer devant ma femme, que cela arrangeait beaucoup, et devant mes enfants à l’égard desquels ma discrétion passait facilement pour de la légitime fierté paternelle ! Il me suffisait d’arborer un sourire béat. Le moindre de leurs actes, le plus banal de leurs incessants bavardages, soulignés par mon évidente satisfaction, prenaient alors des allures de brillantes manifestations d’intelligence.

 

Extrait 2

   Ainsi assise à la tête de son lit, adossée à ses oreillers, les bras noués autour de ses genoux, dans la tenue tout à fait légère qui était la sienne, et surtout dans le soin évident qu’elle prenait à ne rien gommer de ce qu’elle pouvait avoir de provocant, elle était sûrement plus attirante encore que lorsqu’elle était apparue, dégoulinante d’eau, dans ma voiture. Pour éluder les questions, il aurait suffi, j’en suis persuadé, que je tende la main.

   Non seulement l’idée ne m’en vint pas, mais je crois bien que, à cet instant précis, j’en aurais été totalement incapable. Obnubilé par sa question, par les portes qu’elle me contraignait à rouvrir, alors que je croyais vivre paisiblement à l’abri des mauvaises consciences sur lesquelles j’avais cru les clore hermétiquement, je me lançai dans un récit laborieux et insipide. Je tentai maladroitement de dissimuler mes abdications et les renoncements derrière une exaltation puérile de ma vie de famille et la situation professionnelle, certes honorable, mais sans la moindre envergure, que je m’étais faite, au fil du temps.

   Elle m’écouta sagement. Le menton sur les genoux, elle sut ne rien laisser transparaître, dans le regard qu’elle posait sur moi, de ses étonnements et du peu de foi qu’elle accordait à mes protestations de bonheur paisible. Lorsque mon discours un peu dérisoire commença à s’essouffler, lorsqu’il devint évident que je m’enferrais de plus en plus à force de prétendre convaincre, elle n’eut qu’une très brève question :

   - Tu n’écris plus ?

   J’en restai sans voix… Me souvenais-je moi-même de ma passion d’écrire ? J’avais tant fait pour l’enterrer sous les strates accumulées d’autres souvenirs, pour la contraindre au silence, pour oublier la condescendance vaguement méprisante avec laquelle on s’était longuement évertué à me démontrer que je perdais mon temps, que je n’avais pas l’étoffe d’un écrivain, que j’en était venu moi-même à l’oublier. Que la première question venue sur les lèvres d’Odile soit, par-dessus toutes ces années, pour exhumer ce fil de ma vie trop vite rompu me fit l’effet d’une véritable mise à nu. En trois mots, elle venait de balayer plus de vingt ans de faux-semblants. Il lui avait suffi de trois mots pour venir à l’essentiel.

   Je dus en convenir. J’eus, pour cela, la petitesse de prétendre ne pas y attacher d’importance.

 

Descriptif

Editions Retrouvées année 2015 ISBN 9782365591089, état général assez bon, couverture souple, tranche et dos un peu marqués et passés, intérieur assez frais, tranches des pages un peu salies salies, livre d’occasion broché grand format de 14,2x21,3 cm, 304 pages   

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