JC Lattès

VIGAN Delphine de – D’après une histoire vraie

Réf: rf-jclddvahv
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Description

Extrait 1

   Quand j’étais enfant, je pleurais le jour de mon anniversaire. Au moment où les convives réunis entamaient la traditionnelle chanson dont les paroles sont sensiblement identiques dans toutes les familles que je connais, tandis que s’avançait vers moi le gâteau surmonté de quelques bougies, j’éclatais en sanglots.

   Cette attention centrée sur ma personne, ces regards brillants convergeant à mon endroit, cet émoi collectif m’étaient insupportables.

   Cela n’avait rien à voir avec le plaisir réel que j’éprouvais par ailleurs à ce qu’une fête soit donnée en mon honneur, cela n’entachait en rien ma joie de recevoir des cadeaux, mais il y avait dans ce moment précis une sorte d’effet Larsen, comme si en réponse à ce bruit collectif émis à mon intention je ne pouvais que produire un autre bruit, plus aigu encore, une fréquence inaudible et désastreuse. J’ignore jusqu’à quel âge ce scénario s’est répété (l’impatience, la tension, la joie, et puis moi face aux autres, soudain morveuse et affolée), mais je garde un souvenir précis de la sensation qui me submergeait alors, nos vœux les plus sincères, et que ces quelques lueurs vous apportent bonheur, et de l’envie de disparaître sur le champ. Une fois, alors que je devais avoir huit ans, je me suis enfuie.

   A l’époque où l’on fêtait les anniversaires en classe (à l’école maternelle), je me souviens que ma mère avait dût écrire un mot à la maîtresse pour lui demander de ne pas tenir compte du mien, mot qu’elle m’avait lu à voix haute pour information avant de le glisser dans l’enveloppe, et dans lequel figurait l’adjectif émotive, dont j’ignorais le sens. Je n’avais pas osé le lui demander, consciente qu’écrire à la maîtresse relevait déjà d’une procédure exceptionnelle, d’un effort, lequel visait à obtenir d’elle une procédure non moins inhabituelle, un passe-droit, bref un traitement de faveur. A vrai dire, j’ai longtemps cru qu’émotif avait quelque chose à voir avec la quantité de vocabulaire qu’un individu possédait : j’étais une petite fille é-mo-tive, à laquelle il manquait dont des mots, ce qui expliquait, semble-t-il, mon inaptitude à fêter mon anniversaire en collectivité. Ainsi m’apparut-il que pour vivre en société, il fallait s’armer de mots, ne pas hésiter à les multiplier, les diversifier, en saisir les plus infimes nuances. Le vocabulaire acquis de la sorte fabriquait peu à peu une cuirasse, épaisse et fibreuse, qui permettait d’évoluer dans le monde, alerte et confiant. Mais tant de mots me restaient inconnus.

 

Extrait 2

   Le jour des résultats du bac, L. a été la première à m’appeler pour savoir si Louise et Paul avaient réussi. Nous avions décidé de fêter le succès de mes enfants chez nous le soir même avec des amis, une petite soirée que j’imaginais intime et joyeuse avant qu’ils sortent dans le quartier, probablement jusqu’au bout de la nuit. J’ai proposé à L. de venir, ainsi pourrait-elle enfin les rencontrer, ainsi que François, qu’elle n’avait encore jamais vu. Après un court instant d’hésitation, L. s’est enthousiasmée, mais oui, c’était une très bonne idée, que pouvait-elle apporter : du vin, un assortiment pour l’apéritif, un dessert ?

   Dans le courant de la soirée, L. m’a laissé un message vocal pour me dire qu’elle ne viendrait pas, elle était désolée, mais elle avait très mal au dos et craignait qu’il s’agisse des symptômes avant-coureurs d’une crise de coliques néphrétiques, cela lui arrivait malheureusement assez souvent, elle préférait rester chez elle et se reposer.

   Je lui téléphoné le lendemain pour savoir comment elle allait. Elle pensait avoir évité la crise mais se sentait fatiguée. Comme à son habitude, elle n’a pas tardé à reprendre l’avantage en matière d’interrogatoire : comment s’était passée notre soirée, Louise et Paul était-ils heureux, fiers, soulagés ? Etaient-ils sortis ensuite avec leurs amis ? Et moi, dans tout ça, comment me sentais-je ? Elle se doutait bien que cela devait être une drôle d’étape, pour une mère, fêter le bac de ses enfants et bientôt leurs dix-huit ans, se préparer à les laisser partir, se réjouir pour eux de leur succès, et qu’ils aient obtenu les écoles qu’ils souhaitaient, mais tout cela, n’est-ce pas, signifiait dans le même temps que j’allais bientôt me retrouver seule. Comment vivais-je ce moment ? Cela n’allait-il pas trop vite, cela ne semblait-il pas être arrivé d’un seul coup, sans crier gare, même si dix-huit années s’étaient écoulées depuis la naissance de mes enfants ? N’était-ce pas tout simplement sidérant ?

 

Descriptif

Editions JC Lattès année 2015 ISBN 9782709648523, état général assez bon, Jaquette, couverture souple, tranche et dos un peu passés et marqués, intérieur frais, tranche un peu oblique, livre d’occasion broché grand format de 13,3x20,8 cm, 486 pages   

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